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LE VICOMTE DE LAUNAY.

dévaster ; rugis, mugis, bondis sans crainte, retourne ces noirs rochers, fais valser ces branches cassées, démolis tes ponts, jette ton écume dans l’air, fais-toi méchant, fais-toi terrible, joue ton drame, nous t’admirons ; ta démence est notre culture ; demain nous te devrons mille dégâts charmants ; notre parc fantastique, que la nature seule a dessiné, compte sur toi pour tracer ses allées, diriger les travaux. Il se pare de tous les désastres ; il est semblable à ces forts illustres renversés dans un grand combat, à ces volcans déchirés par la lave, à ces fronts voilés de tristesse, flétris par de nobles chagrins, qui ont dû la gloire à des fléaux et qui trouvent la beauté dans les ravages.

N’allez pas croire que tout le reste du pays soit aride comme notre poétique vallée. Il y a là de belles prairies, des champs cultivés. Du sommet de nos rochers déserts, on aperçoit de riants paysages. À notre droite, la ville de Bourganeuf élève ses brunes tourelles, et son vieux donjon, où le frère de Bajazet, Zizim, fut enfermé ; à gauche, la roche de Mazurat perce la nue et fait briller au soleil ses cailloux de cristal ; le Thorion, large ruisseau que nous trouvons paisible, nous, propriétaire d’un torrent, déplie en détours gracieux ses rubans d’acier ; et puis, en face de nous, s’étend sur vingt collines la superbe forêt de Mérignac, digne cadre d’un tableau, sombre océan de chênes qui roule à l’horizon d’immenses vagues de verdure.

N’allez pas croire non plus que les habitants de cette terre soient privés de toute civilisation ; n’imaginez pas que cette petite ville de l’ancienne Marche soit très-éloignée du moderne Paris. Elle est, au contraire, plus avancée en éducation politique, en littérature, en élégance, que bien des villes voisines qui font grand bruit ; le charme particulier de ce séjour, est ce mélange de mœurs champêtres et d’habitudes citadines, d’aspects sauvages et de plaisirs mondains. Voyez-vous sur ce pont qui tremble, sur ce vieil arbre jeté d’une roche à l’autre, voyez-vous cette jeune et jolie femme qui franchit le torrent (notre torrent) ? Elle porte un mantelet noir garni de dentelles, un chapeau de paille de riz orné de vos fleurs à la mode, une robe rose garnie de hauts falbalas ; elle tient d’une main une