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LETTRES PARISIENNES (1838).

comme tous ceux qui aiment, qui admirent et qui prient ; quand la haine l’enflamme, il n’est plus que votre élève, et il se conduit d’après vos leçons.

Oui, cette étude de l’âme humaine dans les monstruosités les plus hideuses, cette découverte de la beauté dans la laideur, cette recherche de la perle divine dans tous les fumiers humains, c’est un généreux et sublime travail. C’est réfuter victorieusement l’opinion de ce philosophe à qui l’on demandait s’il croyait à l’immortalité de l’âme, et qui répondit : « C’est selon. » Comme on s’étonnait de cette réponse spirituellement impie : « J’avoue franchement, continua-t-il, que je ne crois pas à l’immortalité de toutes les âmes ; il y a beaucoup d’êtres dans ce monde qui n’ont pas besoin d’être immortels, qui n’y tiennent pas ; les polichinelles, par exemple : pensez-vous qu’un homme qui toute sa vie a parlé comme ça (et il imitait l’accent du personnage), pensez-vous que cet homme tienne beaucoup à son immortalité ? » — Oui, oui sans doute, a répondu Victor Hugo, et il y tient peut-être plus que vous. Souvent de grands éclats de rire ont caché de tragiques douleurs ; un paillasse qui nourrit quatre enfants en faisant des gambades sur un théâtre de boulevard est plus noble que vous, monsieur, qui le regardez peut-être de votre loge, entre un ami que vous avez ruiné et une malheureuse fille que vous avez perdue. Oui, l’âme du bouffon est immortelle ; l’âme de Marion Delorme, de Quasimodo, est de la même essence que la vôtre ; tous les hommes sont frères par l’âme. Voilà ce que Victor Hugo vous a démontré dans toutes ses œuvres ! Bien loin de jeter le mépris sur ces êtres misérables que le crime, la honte et le ridicule ont proscrits, il vous apprend à les plaindre comme des victimes, alors que vous les poursuivez comme des parias. Il les réconcilie eux-mêmes avec leur sort ; il leur enseigne la dignité, comme il vous enseigne à vous la charité. Quand il les voit étendus sur la terre, découragés, anéantis, il leur dit : Relevez-vous, purifiez-vous, vous êtes nos frères ; quand il vous voit les fuir avec dégoût, quand il aperçoit l’injure prête à éclore sur vos lèvres, il vous crie : Passez en silence, pitié et respect, Dieu est là !

Et la preuve qu’il a raison, c’est que nous, dont le métier,