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LETTRES PARISIENNES (1838).

trop haut… Ô les femmes ! les femmes ! que leur pensée est profonde ! leur vie se passe ainsi dans un éternel combat : entre le désir de faire de l’effet et l’embarras d’en avoir produit ; entre la soif de briller et la peur de la lumière ; elles vont à toutes les fêtes, à tous les spectacles, elles chantent dans les concerts, elles exposent des tableaux au Salon, elles font des vers, elles impriment des romans, elles vont se promener dans une magnifique calèche attelée de quatre chevaux, elles portent des manteaux de velours rouge doublés d’hermine, comme les juges, de petits bonnets couverts de rubans feu ; elles s’entourent de gens célèbres, elles n’écoutent que ceux dont on parle ; et puis elles s’enveloppent de mystère, elles se fâchent si l’on sait leur nom, et pour prouver leur constant rêve de modestie, elles se font faire hardiment un cachet sentimental avec cet emblème : Une source voilée par des arbres, et cette devise qui leur sied si bien : Ombre et silence ! Humbles orgueilleuses, elles n’ont pas même le courage de leur vanité, elles ne savent pas même prendre la responsabilité de leurs prétentions !

Les bals publics vont commencer, les bals particuliers sont bien en retard. Deux ou trois fêtes d’ambassadeurs ont ouvert la saison des plaisirs, mais leur exemple n’est point suivi ; si les danses de charité ne viennent pas au secours des pauvres jeunes filles qui s’ennuient de ces réunions toutes politiques, ce sera un hiver perdu. À quoi donc serviront-elles, toutes ces fleurs dont on fait tant provision aujourd’hui ? À couronner le front des vainqueurs politiques… c’est un triste sort !

Les étudiants en droit, qui composent le public fidèle du théâtre du Panthéon, leur donnent un plus agréable emploi. Rien n’égale la courtoisie de ces messieurs : une actrice leur plaît, ils lui jettent un bouquet, l’héroïne l’attache dans sa ceinture et continue son rôle après un salut gracieux. — Une femme dans la salle leur paraît jolie, ils chargent l’ouvreuse de lui porter un bouquet. S’il y a dans la salle dix jolies femmes, elles recevront dix bouquets : au théâtre du Panthéon l’admiration s’exprime dans le langage des fleurs. Il a en cela une grande supériorité sur les autres petits théâtres du boulevard, où l’on ne connaît encore que le langage des fruits…