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LE VICOMTE DE LAUNAY.

dire, entre s’amuser et s’ennuyer, il y a une nuance très-remarquable, qui ne saurait échapper aux personnes qui ont été mises à cette double épreuve. On comprend donc pourquoi les femmes d’État ont tant d’impatience, et pourquoi le ministère pour elles a tant d’attraits. Eh comment cela ne serait-il pas ainsi ? les hommes, qui ont tous les ennuis du pouvoir, aiment le pouvoir et ne peuvent se passer de lui : comment les femmes ne l’aimeraient-elles pas, elles qui n’en connaissent que les plaisirs ? Or, dans ce moment, l’anxiété de nos femmes d’État est grande : seront-elles ministres ou ne le seront-elles pas ? faudra-t-il déménager ou rester chez soi ? Tout est suspendu. On attend le vote de l’adresse pour toutes choses. « Cette cheminée fume, il faut la faire arranger. — Attendons ; si nous allons au ministère, on fera cette réparation pendant notre absence. — Ce cheval est boiteux, il faut le remplacer. — Attendons ; si nous sommes ministres, nous achèterons les chevaux gris de lord P… ; ils sont à vendre. — Mes diamants sont noirs, il faut les faire nettoyer. — Attendez encore ; peut-être nous pourrons les faire remonter. » Ainsi l’on balance entre l’ombre et le jour, entre les honneurs et la retraite, entre un hiver de succès et une saison de repos, entre le plaisir et l’ennui. Les hommes d’État se demandent : « Aurons-nous la conversion ? Aurons-nous l’intervention ? Aurons-nous la guerre ? » Les femmes d’État se disent : « Aurons-nous de grands dîners d’ambassade ? Aurons-nous des loges ?… » Puissent ceux-ci ne pas trop agir pour répondre à celles-là !

Et chaque hiver la perplexité est la même. À de certaines époques, les ministres font peau neuve comme les serpents. Même incertitude, même hésitation dans les affaires. Pauvres gens de province qui venez à Paris solliciter, réclamer n’importe quoi, quelle inquiétude est la vôtre ! on vous remet toujours au lendemain, et vous-mêmes attendez aussi à demain avant de renouveler vos demandes. À quoi bon se rendre favorable un protecteur flottant dont la bienveillance d’aujourd’hui peut vous nuire dans quatre jours ? Et l’homme de province se promène, attendant le vote de l’adresse, dont son destin dépend. Cette préoccupation politique se trahit dans les simples détails de la vie mondaine ; on prévient ses gens que l’on ren-