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LETTRES PARISIENNES (1838).

trera tard, parce que l’on veut assister aux séances de la Chambre. On vous réveille le matin plus tôt qu’à l’ordinaire pour vous remettre une lettre très-pressée ; cette lettre dit à peu près cela : « Berryer doit parler aujourd’hui, je voudrais bien l’entendre ; pourriez-vous me faire avoir un billet ? » Puis, à six heures, les épouses de messieurs les députés reçoivent de leurs parentes ou amies des billets ainsi conçus : « As-tu des nouvelles de la Chambre, chère sœur, ou chère belle ? Avons-nous encore des ministres ? M. de Lamartine a-t-il parlé ? » Ou bien : « Ma chère Stéphanie, je m’habille pour aller chez madame de Mont… ; mais on me dit que le ministère en masse a donné sa démission : cela changerait nos projets de visites ministérielles… En sais-tu quelque chose ? Dois-je toujours t’aller chercher à huit heures ? » Ce vague universel est affreux. Plaisirs, devoirs, affaires, parure, tout en souffre cruellement. On ne sait qui flatter, on médit en tremblant, on sourit au hasard un peu à tout le monde ; on blâme le matin ce qu’on vante le soir ; tour à tour on frémit, on espère, on lève la tête avec orgueil, et puis on baisse les yeux avec confusion. Cet état ne saurait durer plus longtemps. Qu’on se hâte donc de satisfaire toutes les ambitions pour nous rendre enfin à nos amitiés, à nos haines, à nos travaux et à nos plaisirs.

La représentation donnée mardi en l’honneur de Molière avait attiré beaucoup de monde ; tout le comique de cette soirée n’était pas sur la scène. Un monsieur de l’orchestre, seul, ne partageait pas l’hilarité générale inspirée par les naïvetés du Bourgeois gentilhomme. « En vérité, s’écriait-il, c’est détestable, c’est pitoyable ! ce sont de grosses farces ! Depuis quand donne-t-on ici de pareilles pièces ? — Depuis cent soixante-neuf ans, monsieur, » répondit son voisin d’un air modeste.

Les dandys, anglais ont fait invasion à Paris ; leur costume est étrange : habit bleu flottant, col très-empesé dépassant les oreilles, pantalon de lycéen dit à la Brummel, gilet à la maréchal Soult, manteau Victoria, souliers à boucles, bas de soie blancs mouchetés de papillons bruns, cheveux en vergette, un œil de poudre, un scrupule de rouge, l’air impassible et les sourcils rasés ; canne assortie.