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LETTRES PARISIENNES (1838).

sont fort jolis à voir et très-agréables à porter. Les enfants sont à la fois charmants et heureux en marins ; aussi est-ce le costume à la mode depuis quelques années. Dans un grand bal qui a été donné mardi dernier, un quadrille de sylphides a fait la plus vive sensation. C’étaient de jeunes et belles personnes, qui, comme cela, disait-on, n’étaient point du tout déguisées. Chaque jour on les voit de même sveltes et gracieuses, vaporeuses et poétiques. Elles avaient mis ce soir-là leurs ailes, et voilà tout. Chaque sylphide avait pour danseur une bête domestique ou féroce. Nous nous hâtons de dire que ces messieurs étaient parfaitement déguisés. Les plus malins étaient en ânes, les plus affables étaient en ours… Le moyen de reconnaître personne, et de s’écrier, comme dans l’Ours et le Pacha : « L’ours est votre époux ! » Ce quadrille a fort bien réussi à ceux qui l’ont dansé et à celle qui s’en est servie pour la plus folle mystification. Jugez-en plutôt.

Il y a dans le monde des heureux qui ont la manie de tout savoir, d’être de toutes les fêtes, d’appartenir à toutes les sociétés, de connaître toutes les intrigues : cela s’appelle être au courant de tout. Ils font vingt visites dans leur journée, ils savent que madame une telle reçoit tel jour ; ils ne vont pas chez elle, mais ils connaissent ses habitudes. Ils savent qu’il y a eu un dîner ici, un souper là ; ils n’en étaient pas, mais ils vous diront le menu ; ils l’ont retenu mieux que vous, qui étiez un des convives. À chaque nouvelle ils vous répondent : « Je le savais ! » Ils font tous les mariages, ils condamnent tous les malades ; ils mettent leur gloire à n’être jamais surpris ; être en retard, pour eux, c’est la honte ; l’honneur, pour eux, n’est point d’être un homme bien famé, ou bien aimé : ce qu’ils rêvent, c’est d’être jusqu’à leur dernier jour un homme bien informé. Il en est un de cette espèce qui pousse la présomption de tout connaître si loin, qu’on ne peut résister au plaisir de le tromper pour le confondre et d’inventer les mensonges les plus étranges pour le déconcerter dans ses informations. Il va souvent dans le monde, mais cependant il n’est pas de tous les mondes. Les salons du faubourg Saint-Germain, par exemple, lui sont interdits à cause de ses opinions, ou plutôt de ses relations politiques ; mais n’importe, il prétend