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LETTRES PARISIENNES (1838).

LETTRE SEPTIÈME.

Électeurs et candidats. — M. Martin, de Strasbourg.
Histoire d’un courrier bigame.
23 février 1839.

Une seule et même pensée domine depuis huit jours les esprits. Toutes les nuances sont effacées, les rangs, les états sont confondus. Le pays ne reconnaît plus aujourd’hui que deux classes : les électeurs et les candidats. Les affections de famille sont ajournées, les devoirs de cœur sont suspendus. On n’est plus époux et père, oncle et tuteur, juge ou préfet, peintre ou cordonnier, poëte ou pharmacien : on est électeur. L’homme ne représente plus une créature mortelle, l’homme n’est plus qu’un bulletin ; il n’est plus une âme, il est une voix. Les candidats ne vivent plus sous le regard de Dieu, ils n’agissent, hélas ! qu’en vue de l’électeur ; l’électeur est à la fois leur juge et leur conscience. Pour lui seul leur ferveur, à lui tout leur encens ; les épîtres aux commettants se succèdent. Quel charmant recueil d’électorales cela pourra faire un jour ! Les pastorales sembleront bien froides en comparaison de ces délicieuses poésies fugitives et représentatives.

Du reste, rien de nouveau ; on ne vit point, on attend pour vivre que le sort de chacun soit décidé ; nous-même n’habitons point Paris en ce moment. Nous aussi sommes atteint de préoccupations électorales. Notre pensée est loin d’ici, elle s’égare dans les montagnes de la Marche, elle plane sur les bords chéris du Thorion. Ce n’est point pour nous une question d’existence politique, c’est une question de vie champêtre. Les bulletins d’un collège vont décider de nos plaisirs. Toute la politique se réduit pour nous à ce seul mot : Passerons-nous l’été à Bourganeuf ? Ah ! nous l’espérons bien, en dépit de notre ennemi de profession, M. Martin.

Ce M. Martin, que l’on nomme Martin de Strasbourg à Paris, et Martin de Paris à Strasbourg, nous a rappelé l’histoire de ce courrier bigame qui avait une femme à Paris et une autre femme à Strasbourg. Était-ce un crime ? Non ; habitant fidèle mais alternatif de ces deux villes, n’avait-il pas le droit d’avoir un ménage dans chacune d’elles ? Un seul ne lui suffisait pas ; sa vie était si régulièrement divisée : chaque semaine