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LE VICOMTE DE LAUNAY.

il restait deux jours à Paris, deux jours à Strasbourg ; avec une seule femme, il aurait été veuf la moitié du temps. Il avait d’abord vécu plusieurs années marié uniquement à Paris, mais il avait amèrement reconnu les inconvénients de ce système ; les soins que lui prodiguait sa femme à chacun de ses retours à Paris lui faisaient trop sentir l’affreuse solitude qui l’attendait à Strasbourg. Là, une mauvaise auberge, un mauvais souper, la solitude et l’ennui ; à Paris, au contraire, un accueil empressé, une chambre bien chaude, un souper tendrement servi. À Paris, tout devenait plaisir ; à Strasbourg, tout devenait tristesse. Le courrier de la malle interrogea son cœur et il s’avoua que la solitude était pour lui chose impossible ; il fit encore ce raisonnement : il se dit que le mariage étant une admirable institution, on ne saurait trop lui demander de garanties ; et comme tout lui prouvait qu’il n’était heureux à Paris que parce qu’il s’y était marié, il se persuada qu’il ne serait heureux à Strasbourg qu’en s’y mariant. Donc, il se décida à prendre ou plutôt à reprendre femme à Strasbourg. Pendant longtemps le secret de sa double union fut gardé ; rien ne troublait ses ménages, il n’avait qu’à s’applaudir de ses choix ; ses femmes l’aimaient avec la même ardeur ; son bonheur s’équilibrait merveilleusement, et il trouvait dans cette double affection d’ineffables douceurs que les simples maris ignorent. En faisant le voyage de Paris à Strasbourg, il pensait à sa grande blonde qu’il allait revoir, à Toinette, l’Alsacienne au teint rose, aux yeux bleus… Il arrivait, il passait deux jours auprès d’elle ; il jouait avec ses enfants, qu’il appelait ses petits Alsaciens, et il repartait gaiement pour Paris. À peine sur la route, il oubliait Toinette ; il ne se rappelait que sa petite Caroline, la Parisienne aux yeux chinois, aux sourcils noirs, et il songeait à l’avenir de ses deux fils, qu’il appelait ses grands enfants de Paris. Caroline préparait-elle son souper : « Cuisine française ! » criait-il en riant. — Toinette servait-elle à dîner : « Cuisine allemande ! » disait-il encore en riant ; et il ne voyait rien de coupable dans cette double union. Il trouvait tout simple que les hommes qui habitaient toujours la même ville n’eussent qu’une femme et qu’un ménage ; mais il trouvait très-raisonnable aussi qu’on eût deux femmes et