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LETTRES PARISIENNES (1838).

LETTRE TREIZIÈME.

La fantaisie est la fée du jour. — Fantaisie en musique. — Je pense à moi, romance. — Fantaisie en horticulture. — La violette ne veut plus être l’emblème de la modestie.
3 mai 1839.

Paris n’a jamais été plus brillant, plus sémillant, plus pétillant, plus frétillant. L’installation du printemps est une véritable fête. Depuis trois jours tout a fleuri ; il faut rendre justice aux femmes, jamais elles n’ont été plus jolies que cette année ; nous ne voulons pas dire par là que les belles femmes d’aujourd’hui soient plus belles que celles d’autrefois ; nous voulons dire que le nombre des jolies femmes est aujourd’hui beaucoup plus considérable qu’il n’était il y a dix ans, il y a huit ans, il y a six ans même ; la beauté est en progrès.

Il faut aussi rendre justice à l’industrie parisienne ; le goût français depuis quelques années s’est remarquablement perfectionné, la parure des femmes, leur coiffure, la forme de leurs vêtements, ces futilités si importantes, ont acquis ce qui leur manquait : de la légèreté et de l’élégance. Les parures d’autrefois étaient un peu pédantes, si l’on ose s’exprimer ainsi ; les modes de la Restauration avaient dans leur richesse même une roideur insupportable. Les coiffures mignonnes étaient d’énormes bérets en carton qui masquaient tout le devant d’une loge, au spectacle. Les boucles de cheveux que les coiffeurs arrangeaient avec d’affreux préparatifs étaient doublées de fer et se tenaient toutes droites sur la tête ; les fleurs elles-mêmes s’élevaient droites et roides au-dessus de cet édifice ; elles ressemblaient plutôt à un bouquet planté dans le canon d’un fusil pour une fête militaire qu’à une branche de fleurs mêlée à des cheveux. Les plumes sur les chapeaux se posaient aussi toutes droites ; la plus jolie tête avait toujours une attitude menaçante qui n’offrait rien de gracieux. Les airs penchés devenaient impossibles ; tous les édifices n’ont pas le privilège de la tour de Pise. Ces coiffures monumentales exigeaient un maintien posé. D’ailleurs, au moindre laisser aller, les manches à côtes de melon étaient là pour vous avertir. Ces duègnes malveillantes, intérieurement cuirassées d’une sorte