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LE VICOMTE DE LAUNAY.

tendent rien de vous, et qui grandissent pour vous, qui supportent le vent, la pluie et la neige, et qui les supportent sans vous ; qui croissent au soleil et à l’ombre, que ne découragent ni votre malheur ni votre bonheur ; qui ne vous demandent jamais rien, ni soins ni culture, et qui ne vous révèlent leur présence que par leur parfum. Vous les oubliez pendant des années ; vous admirez d’autres fleurs, et pour ces fleurs si rares vous faites mille folies, car elles ne vivent qu’à vos dépens ; ce sont les compagnes de votre fortune ; vous leur consacrez tous vos jours heureux ; pour elles vous méprisez toute chose : qui oserait nommer le chèvrefeuille sauvage devant le stephanotis floribunda ? qui pense au jasmin domestique en regardant l’ehythès et l’ipomea ? Mais viennent les jours du malheur, mais qu’un revers du destin vous rende brusquement aux douceurs de la vie modeste, ces merveilles, amantes du riche, vous délaissent aussitôt. Vous-même leur dites : « Partez, je ne peux vous garder près de moi, la pauvreté est froide, elle vous ferait mourir, adieu ! » — Vous les livrez à un amateur qui spécule sur vos regrets et qui vous les enlève ; et tandis qu’appuyé sur votre fenêtre vous les regardez tristement partir, une brise embaumée vous enivre… C’est le chèvrefeuille du bosquet qui vous crie de loin : « Moi, je reste ! » Une branche de feuilles légères vous caresse la main doucement, c’est le jasmin fidèle qui vous rappelle sa présence ; il a grandi pendant les jours de l’abandon, ses branches protectrices voilent de verdure votre demeure et s’entrelacent dans le grillage du balcon. Il a grimpé jusqu’à votre fenêtre ; il est monté jusqu’à vous pour vous dire : « N’aie pas de remords, tu ne m’as pas oublié, puisque j’ai toujours pour toi des fleurs et des parfums. »


LETTRE QUATORZIÈME.

Après l’émeute du 12 mai. — Indignation. — Une parabole.
Pauvre France !
17 mai 1839.

Oh ! le vilain temps que le nôtre ! malheur, malheur, à nous d’être nés dans ce siècle-ci ! Pauvre et cher pays, où vas-tu ? et qui te mène ? As-tu donc, comme ces tristes enfants des