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LETTRES PARISIENNES (1838).

Contes de Perrault, de mauvais parents qui ne t’aiment plus et qui te conduisent dans les bois afin de t’y égarer ? Hélas ! oui, les insensés veulent tous te perdre, chacun avec un espoir différent ; les uns disent : « Semons la défiance, jetons le trouble, frappons sans relâche, renversons ce qui est ; et nous nous assoirons sur les ruines, et nous nous partagerons les richesses : nous sommes las d’être pauvres. Nous aussi nous voulons de l’or, de beaux chevaux, de grands hôtels ; nous ne voulons pas travailler, nous voulons régner : dépouillons ceux qui possèdent ; vive l’égalité !… » Et ils se mettent à l’œuvre avec fureur ; et l’édifice social, qu’ils ébranlent à toute heure, menace déjà d’engloutir le monde sous ses débris.

Les autres, et ceux-là sont les profonds politiques, les regardent faire en souriant, et de temps en temps leur envoient avec malice quelques bienveillants conseils. « Frappez de ce côté, disent-ils, cet appui est encore solide, c’est là qu’il faut réunir tous vos coups ; tenez, braves alliés ! nous voulons même vous aider ; allons, frappons ensemble ! ferme ! c’est bien ! vous êtes contents de nous, n’est-ce pas ? » Et puis ces profonds politiques se détournent pour rire en cachette de la grossièreté de leurs associés : « Les rustres ! pensent-ils, qu’ils sont fourbes et misérables ! quand ils seront vainqueurs, on ne les supportera pas plus d’un jour ; ils mettront tout à feu et à sang, on sera bien heureux alors de nous avoir pour les remplacer. » Pendant ce temps, les autres disent : « Les niais ! vous le voyez, ils sont toujours les mêmes : intrigants sans courage, orgueilleux sans dignité. Ah ! quand nous serons là, comme nous les jetterons vite à la porte ! Plus souvent qu’on leur laissera leurs terres et leurs châteaux ! » Ils parlent ainsi, car ils se haïssent les uns les autres ; mais ils frappent ensemble, ils frappent fort et toujours, et le sol tressaille, et les murs se fendent, et les lambris fléchissent, et le faîte déjà s’écroule, et la poudre des décombres, que le vent de leur colère soulève en tourbillons, aveugle nos regards en pleurs.

Et tu vas périr, jeune et belle France, parce que ceux dont l’amour faisait ta force ne t’aiment plus ; ton bonheur n’est plus leur pensée, ta gloire n’est plus leur orgueil ; ils ont tous mieux à faire que de t’aimer. Leurs plus beaux sentiments