Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
347
LETTRES PARISIENNES (1838).

pleure pas, ô sœur chérie ! nous veillons sur ton sort, rassure-toi ; nous allons tuer ton mari et tu seras heureuse ! » Mais comme cette touchante attention t’épouvante, comme tu repousses avec terreur ces sanglantes consolations, ils s’indignent de ta faiblesse, ils t’appellent esclave, ils te disent lâche et misérable ; ils te poursuivent de leur rage en criant : « Va, c’est bien fait, souffre ! tu n’as que ce que tu mérites ; pourquoi n’as-tu pas voulu nous écouter ? » Et ils fuient en te menaçant !… Et tu vas périr, belle France, parce que tes frères, qui devraient défendre ton honneur et soutenir ta jeunesse, gonflés d’orgueil, rongés d’envie, ne t’aiment pas !

Qui donc viendra te secourir, pauvre femme ? tes parents te maudissent, tes frères te persécutent ! Qui donc aura pitié de toi ? Ah ! tes jeunes sœurs, sans doute ; elles, si bonnes et si charmantes, viendront t’aider à supporter tes malheurs ! leur courage est impuissant pour te défendre ; mais leur tendresse, du moins, adoucira l’amertume de tes chagrins ; elles ne peuvent agir pour toi, mais du moins elles vont pleurer avec toi. — On les cherche en vain ; où sont-elles ? Quoi ! tu souffres, et on ne les voit point près de ton lit de douleur ! ton sein est déchiré, ton corps est meurtri, et ce ne sont pas leurs blanches mains qui pansent tes blessures ! Où sont-elles donc ? il faut les appeler. — C’est inutile, elles ne viendraient pas ; elles sont occupées à de graves affaires : elles s’habillent au son du tambour pour aller sautiller au bal chez des étrangers. Cependant elles sont inquiètes, non des scènes sanglantes qu’on vient leur raconter, mais des retards d’une couturière négligente qui n’a pu terminer à temps les robes qu’elle avait promises, parce qu’elle a veillé toute la nuit son père, tué hier soir dans les rangs de la garde nationale, et les robes ne sont pas prêtes ; mais on en met d’autres et l’on part ; bientôt les braves danseuses recommencent encore à trembler, non parce qu’elles entendent des coups de fusil dans les rues voisines, mais parce qu’elles ont peur qu’on ne prenne leur voiture pour faire une barricade, et qu’elles seraient fort contrariées d’aller à pied dans ce bal. Enfin, Dieu les protège, elles arrivent sans accident ; les chapeaux de paille de riz, les capotes en dentelle sont d’une fraîcheur délicieuse, qui ne trahit