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LETTRES PARISIENNES (1838).

emportés. Et ce n’était point une indiscrétion, on peut le croire ; il y avait bien là de quoi couronner de roses cent soixante familles anglaises avec leurs dix-huit jeunes filles : Isabella, Arabella, Rosina, Susanna, Louisa, Elisa, Mary, Lucy, Betzy, Nancy, etc., etc.

On avait fait demander pour les ornements de la fête, outre les fleurs du jardin et des serres, qui sont magnifiques, mille à douze cents rosiers ; on n’en a pu placer, dit-on, que huit cents dans les appartements ; mais cela seul peut vous donner l’idée de ces magnificences toutes mythologiques. Le jardin, couvert d’une tente, était arrangé en salon de conversation. Mais quel salon ! les larges plates-bandes remplies de fleurs étaient des jardinières monstres que chacun venait admirer ; le sable des allées était caché sous de fraîches toiles, pleines d’égards pour les blancs souliers de satin ; de grands canapés de lampas et de damas remplaçaient les bancs de fer creux ; sur une table ronde étaient des livres, des albums, et c’était plaisir de venir rêver et respirer dans cet immense boudoir, d’où l’on entendait, comme un chant magique, le bruit de l’orchestre, d’où l’on voyait passer comme des ombres heureuses, dans les trois longues galeries de fleurs qui l’entouraient, et les jeunes filles folâtres qui allaient danser et les jeunes femmes plus sérieuses qui allaient souper.

Il n’est point de fête sans lion, et le lion, cette fois, était une charmante princesse anglo-italienne dont l’apparition a produit le plus grand effet. Lady Mary Talbot, mariée il y a deux mois au prince Doria, était arrivée de Gênes quelques heures avant le bal ; l’élégante voyageuse ne songeait qu’à se reposer d’une si longue course : l’idée de cette splendide fête n’était pour elle qu’un regret. Arrivée à quatre heures, le moyen de s’imaginer qu’on puisse aller au bal à dix heures du soir ! encore si c’était quatre heures du matin, peut-être on aurait eu le temps de se préparer ; mais si tard, cela semblait impossible. Tout à coup ces paroles étranges se font entendre : « On apporte une robe de bal pour madame la princesse ! » Tel on voit un coursier, nonchalamment couché sur le gazon, tout à coup bondir et s’élancer dans la plaine au premier signal de la guerre, telle on vit la jeune voyageuse, nonchalamment couchée sur un lit