Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
354
LE VICOMTE DE LAUNAY.

c’est vous qui causez tous ces troubles, et vous n’avez pas même des convictions apparentes pour excuse de vos attaques. Vous renversez un ministère avec des injures, et vous n’avez pas même une haine dans le cœur pour explication de vos outrages. C’est misérable, monsieur !

L’ambassadeur de Turquie, à propos de ces hommes qui s’attaquent avec fureur le matin à la Chambre et qui se promènent en causant gaiement ensemble le soir dans nos salons, disait ce mot charmant, tout brillant de couleur orientale : « Le matin, tigres ; le soir, frères. »

Des hommes qui aimeraient véritablement leur pays seraient le contraire ; ils seraient frères le matin pour s’entendre sur ses intérêts ; ils seraient tigres le soir, si l’orgueil et les rivalités les séparaient ; mais, nous vous l’avons prouvé l’autre jour, ils n’aiment point leur pays.

Cela nous rappelle que nous devons hommage et réparation à de nobles femmes que nous avions accusées d’avoir dansé le jour où l’on se battait dans Paris. Quelques-unes sont allées au bal, il est vrai, mais c’est la minorité. Nos plus grands noms se sont abstenus, et nous sommes presque heureux de notre patriotique colère, puisqu’elle nous a valu de si doux reproches et tant d’honorables réclamations. Les femmes que l’orgueil national émeut encore en France ont d’autant plus de mérite, que ce sentiment n’est pas de ceux qu’on entretient dans leurs cœurs. En Angleterre, l’amour du pays est un culte que l’on enseigne, dès l’enfance, aux hommes et aux femmes ; il fait partie de l’éducation. À Paris, on prive de bal nos jeunes filles, selon les partis politiques, quand la reine éprouve un chagrin de cœur, quand madame la duchesse de Berri est prisonnière : cela est naturel, nous approuvons les sentiments de convenance qui dictent ces privations ; mais il nous semble que ces égards que l’on a pour une reine affligée et pour une princesse captive, on peut bien les avoir aussi pour une patrie en danger ; une dynastie n’a de grandeur qu’autant qu’elle fait cause commune avec le pays, et c’est lui rendre un hommage peu digne d’elle que de la séparer de lui. Nous vous ferons remarquer ceci en passant : Chez toutes les nations qui ont gouverné le monde, l’amour de la patrie était inspiré et professé par les