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LE VICOMTE DE LAUNAY.

pour qu’ils vous permettent de leur tâter le crâne pendant un quart d’heure, on connaît déjà parfaitement leur caractère, leurs goûts et leurs talents ; reste seulement à savoir s’ils ont la bosse du meurtre ou celle du génie ; détail inutile, puisque, pour la plupart du temps, les heureux possesseurs de ces deux bosses remarquables négligent de s’en servir. Il est pénible, n’est-ce pas, de manquer aux ordres de son propre crâne, de ne pas suivre la destinée qui vous était tracée par la science ? Faire mentir ses bosses, c’est affreux ! Eh bien ! nous l’avouons, ce tort grave est le nôtre : nous faisons des vers, nous faisons des feuilletons ; et cependant un disciple de Gall, un célèbre phrénologue, consulté dans notre enfance par nos parents, a reconnu que nous avions, très-prononcée, la bosse des arts mécaniques !

Voici donc deux beaux systèmes à l’aide desquels on pénètre dans les abîmes du cœur. Le nôtre est moins savant, mais il est peut-être plus ingénieux. Il a, sur celui de Lavater et sur celui du docteur Gall, cet avantage, qu’il peut être mis très-facilement à la portée de tout le monde. Vive la science des ignorants ! elle est limpide ; les découvertes dues au hasard de leur esprit sont les plus certaines. Un ignorant devine souvent des choses admirables et d’une grande utilité. Les sages se sont écriés tristement : « Qu’est-ce donc qu’être savant ? C’est savoir qu’on ignore. » Nous pourrions leur répondre peut-être avec raison : Qu’est-ce donc qu’être ignorant ? C’est ignorer que l’on sait.

Or notre système, le voici : moyen infaillible de reconnaître le caractère, les goûts, les manies, les prétentions, les sentiments d’une femme, par un seul coup d’œil jeté sur sa parure.

Depuis trois mois d’études obstinées, nous ne nous sommes pas trompé une seule fois. Pour nous tout est symptôme. Chaque objet nous révèle une pensée ; les détails les plus insignifiants ont un langage que nous entendons ; il est de grands et terribles événements que nous ont appris les remarques les plus puériles. Oui, dernièrement, nous avons compris qu’il venait d’arriver un affreux malheur à la marquise de R… Le matin même, son frère s’était blessé dangereusement en tombant de tilbury. Elle allait le voir quand nous l’avons rencon-