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LETTRES PARISIENNES (1839).

trée à quelques pas de chez lui. « Ah ! mon Dieu, nous sommes-nous écrié, ce pauvre Alfred !… — Eh bien ? — Il lui est arrivé quelque accident : sa sœur vient d’entrer chez lui. — Cela n’a rien d’étonnant, elle y va tous les jours ; elle aime son frère passionnément. — Je vous dis qu’Alfred est blessé grièvement ou très-malade. — À quoi donc devinez-vous cela ? — Madame de R… n’a pas de manchettes… et pour que cette femme si coquette, si élégante, coure les rues à cette heure sans avoir mis des manchettes, il faut qu’il y ait un grand malheur dans sa vie. »

Quant aux secrets des caractères, rien n’est plus facile à deviner. Depuis le chapeau d’une femme jusqu’à ses souliers, il n’est pas une pièce de sa toilette qui ne soit un aveu ; la fortune ou la pauvreté n’y changent rien, le petit bonnet de la repasseuse dit toutes ses pensées, comme le turban de la duchesse dit tous ses projets. Le regard ment, le sourire est perfide ; la parure ne trompe jamais.

Il est des béguins pleins d’orgueil que vous n’avez jamais compris, et des panaches pleins de modestie dont vous n’avez jamais apprécié la délicatesse et la dignité. — Expliquez-vous, nous dira-t-on. — Écoutez donc ! Ce béguin est orgueilleux à force de simplicité, car une femme de millionnaire peut seule porter dans une brillante soirée cette coiffure modeste, bonnet de pensionnaire à l’infirmerie. Ce furieux panache, au contraire, est plein d’humilité ; car la femme d’un employé à mille écus d’appointements peut seule avoir le noble courage, pour venir chez la femme de son supérieur, de s’affubler de cette toque à plumage jauni, qui compte des hivers de souffrance, dont les proportions sont démesurées, dont l’envergure est fantastique, mais dont l’âge et le ridicule même trahissent la plus généreuse abnégation, la plus pure conduite et les plus tendres sentiments. Ce béguin ne vous disait rien, mais, à nous, il tient ce langage ; voilà ce qu’il signifie pour nous : « J’ai un million de rente, le plus bel hôtel et les plus beaux chevaux de Paris. Mes diamants ont fait leur effet, mon collier d’émeraudes est connu, mes opales sont classiques ; j’avais, l’autre jour, une robe de dentelle qui a fait le sujet de la conversation de toutes ces femmes pendant trois jours. Je veux