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LE VICOMTE DE LAUNAY.

pieds de biche, couverte de porcelaine de Saxe et de magots de la Chine ; et ils plongent galamment leur plume dans une écritoire de Boulle, pour ajouter sur leur liste de proscription votre nom à côté du nôtre.

Est-il rien de plus bouffon, de plus sot, de plus lourdement naïf, de plus niaisement inconséquent que la lutte de ces deux passions ? Voyez-vous d’ici ces Catons rococos, frisant leurs cheveux devant un miroir de Venise ? Dites, n’est-il pas charmant de pouvoir rajeunir la belle phrase antique, en criant à un vengeur en retard : « Tu dors, Brutus, dans des rideaux de lampas, et Rome est dans les fers ! » Brutus en débraillé, imitant Louis XV et lui soufflant madame de Pompadour ; Brutus quittant la chaise curule pour le canapé séducteur aux ornements chantournés et tarabiscotés (expressions du temps retrouvées par M. Petrus Borel, auteur de Madame Putiphar) ; Rome sévère se souvenant de la Régence, les vertus farouches donnant la main aux vices coquets, la Liberté se faisant complice des libertés, madame du Barry causant chiffons et bijoux avec la mère des Gracques, et Lucrèce expliquant sa conduite à Sophie Arnoult : tout cela est nouveau et très-piquant ; notre époque seule pouvait amener de pareils mélanges ; les époques de transition ont cela d’agréable que, rien ne leur appartenant en propre, elles ont le droit de piller dans le passé tout ce qui les séduit ; cet assemblage des choses les plus contraires, ce désordre, ce manque d’unité, leur donnent peu de caractère, il est vrai ; mais ces choix étranges sont eux-mêmes de si naïfs aveux, qu’on leur pardonne la confusion qu’ils jettent dans les coutumes du présent, en faveur des révélations qu’on leur doit sur l’avenir.

Rassurez-vous donc : ce n’est point pour supprimer les chevaux, les diamants, les riches étoffes, les lustres d’or et toutes les splendeurs des palais royaux, que les républicains veulent renverser les trônes et bouleverser la France ; non, c’est seulement pour posséder eux-mêmes toutes ces belles choses et les acquérir le plus tôt possible, par des moyens politiques, c’est-à-dire sans travailler. Avec quelques bons coups de fusil adroitement tirés, on est bien vite aux affaires, il ne faut que deux ou trois jours pour cela, tandis que pour faire fortune il