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LETTRES PARISIENNES (1836).

tombent même, et dont on n’entend ni le pas ni la chute. Sans les cris des marchands, on croirait être devenu sourd. L’aspect des rues est très-singulier ; il n’est personne qui, à la fin de la journée, ne soit tombé une ou deux fois, ou n’ait aidé plusieurs passants à se relever. Hier, les deux chevaux d’un fiacre sont tombés ; le cocher est aussitôt descendu de son siège ; mais, en voulant tirer ses chevaux par la bride, lui-même il a glissé ; alors le personnage qui était dans la voiture a passé la tête à la portière pour savoir ce qui arrivait : apercevant les chevaux et le cocher étendus dans la neige, il a pensé qu’ils seraient fort longtemps à se remettre sur pied ; alors, en véritable philosophe, il s’est replacé au fond de la voiture et s’est endormi ; il est possible qu’il y soit encore. À Rome, quand il neige, les boutiques se ferment, les bureaux se ferment, les affaires s’arrêtent, tous les habitants se couchent ; il est reçu que c’est une calamité. À Paris on gèle, mais on sort comme à l’ordinaire : les femmes ont les yeux rouges et les joues violettes ; n’importe, elles se parent, elles vont faire des visites comme lorsqu’elles sont jolies. Et puis, ne faut-il pas que tout le monde sorte ces jours-ci ? les étrennes menacent, le devoir nous appelle chez Lesage, chez Giroux, chez Susse ; il faut aller comme tout le monde y choisir un objet de peu de valeur que la raison nous force à prendre, et regretter tout ce qui nous y séduit et qu’elle nous défend de choisir.

Les badauds des boulevards, fort occupés la semaine dernière à regarder passer la chaise de poste jaune, attelée de chevaux blancs, ramenant dans la capitale le député qu’elle contenait, sont fort émerveillés aujourd’hui de l’aspect subit des traîneaux. Plusieurs traîneaux ont parcouru les boulevards, et les badauds qui se croient en Russie ont bien plus froid ; ils se hâtent de disparaître dans le collet de leur manteau, et ne laissent voir de leur visage que deux yeux perdus entre un foulard et un chapeau. Plusieurs personnes nous ont salué hier dans cet équipage ; nous leur demandons mille fois pardon de ne les avoir pas reconnues : c’étaient peut-être nos meilleurs amis.

Ce qu’il y a de plus étrange dans les rues, c’est ce mélange