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LETTRES PARISIENNES (1839).

de diamants, déplorent leur jeunesse perdue en cueillant un bouquet de fleurs exotiques dans la serre la plus élégante, promènent leur mélancolie dans une excellente voiture au bois de Boulogne, et vont étaler leur désenchantement dans une bonne loge à l’Opéra, avec une boule d’eau chaude, sous les pieds. — Quel est donc leur chagrin ? — L’ennui !… Leur malheur, c’est d’être trop heureuses. Leur imagination exaltée, faussée par la lecture des romans du jour, ne rêve qu’agitation, qu’événements dramatiques ; la vie mondaine les fatigue, le repos de leur existence leur paraît une offense ; elles méritaient mieux que cela, un sort si calme ne convenait point à leur âme ardente. Être belle, intelligente, et languir ainsi oubliée du destin ! À vingt-cinq ans n’avoir causé encore aucun malheur, n’avoir fait naître aucune passion délirante, n’avoir troublé aucun ménage, n’avoir inspiré aucun quatrain, n’avoir jamais été la première pensée de personne, n’avoir pour toute affection qu’une mère qui vous chérit, un père qui vous gâte et un mari qui vous honore : qu’est-ce que cela ? Pendant deux grandes années ne compter qu’un seul événement fâcheux : le renvoi d’une femme de chambre qui faisait les robes en perfection. Vivre ainsi, ce n’est pas vivre ; c’est végéter ! Le jeune auteur avait raison : ces chagrins-là ne sont point touchants, et ils ressemblent fort à des ridicules. Ces observations étaient spirituelles, amusantes, elles ont fait le succès de l’ouvrage ; mais, par malheur, elles étaient ingénieuses, c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas justes, et nous l’avons dit à l’auteur lui-même très-franchement ; sa surprise était grande lorsque, pour justifier notre critique, nous lui prouvions que les aventures de la vie privée n’avaient été dans aucun temps aussi romanesques qu’aujourd’bui. Il voulait douter encore et cherchait à nous confondre par des exemples, et il appelait les noms propres à son secours. Cette discussion avait lieu au Théâtre-Français, dans un des entr’actes d’un drame d’Alexandre Dumas : il y avait ce soir-là beaucoup de monde dans la salle, et surtout beaucoup de personnes de notre connaissance ; nous avions beau jeu : à chaque citation de notre antagoniste, nous trouvions une réponse triomphante : « Je voudrais bien savoir, par exemple, nous disait-il en riant, ce que vous trouvez