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LE VICOMTE DE LAUNAY.

passion que jeune et belle femme ait jamais inspirée. — Et qui donc l’aime si tendrement ? — Alfred de G… — Ah ! c’est très-joli ! Alfred de G… qui est en Amérique depuis deux ans ! Il aime donc par correspondance ? — Alfred, — mais n’en dites rien, — Alfred est en Amérique pour tout le monde, pour sa famille, pour ses créanciers, pour ses amis, et surtout pour le mari de madame de R… ; mais pour elle, il est ici, et il n’a pas quitté la France un seul jour. — Comment savez-vous cela ? — Par un hasard suivi d’une indiscrétion. — Je n’aurais jamais cru Alfred capable d’un tel dévouement ; lui si élégant, si merveilleux, se résigner à vivre incognito à Paris ! — À Paris ? dites donc aux Batignolles. Mais il commence à se lasser de son exil. J’ai vu ce matin une lettre de lui datée de Philadelphie, par laquelle il fait pressentir son prochain retour en Europe. — C’est probablement pour cela que madame de R… paraît si joyeuse ce soir. J’en conviens, le roman est plein d’intérêt. — Je vous en raconterais de plus admirables encore, si l’on pouvait tout dire ; mais regardez cette charmante personne qui lorgne de notre côté : c’est une jeune femme de province, encore une héroïne de roman. Elle était un soir paisiblement rêveuse à sa fenêtre, lorsqu’on lui remit un billet conçu en ces termes : « Madame, voulez-vous être reine ?… Je vous aime et suis roi. » Ce billet était signé : « Adolphe Ier. » Après l’avoir lu, la subite reine par la grâce de l’amour leva les yeux, et aperçut à la fenêtre d’une maison située en face de la sienne un jeune homme d’une figure pâle et maladive, qui la regardait tendrement en posant la main sur son cœur. Une femme d’un âge mûr était assise près de lui, et faisait à notre héroïne des signes d’intelligence qui voulaient dire : Ne vous fâchez pas. Le lendemain, cette bonne dame vint voir la fausse reine pour lui demander pardon des extravagances de son fils. « Ayez pitié de lui, madame, disait en pleurant cette pauvre mère ; il est fou, et sa folie est de se croire roi et de vous aimer ; il passe des journées entières à regarder vos fenêtres, à vous envoyer les plus tendres paroles ; s’il voit entrer chez vous quelque habitant de la ville, il tombe dans des accès furieux de jalousie ; il vous écrit de longues lettres de reproches, je les brûle ; mais alors il se désole parce que vous ne