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LETTRES PARISIENNES (1839).

Auguste, qui est si élégante, si distinguée, et qui justement n’a pas du tout l’air d’être la fille de son père ! elle en a pleuré, et ces dames sont restées brouillées pendant huit jours : Elles faisaient semblant d’être malades, et restaient toute la journée dans leur chambre ; elles me laissaient dîner seul ; mais leurs deux enfants ont eu la fièvre scarlatine, et ça les a tout de suite réconciliées.

— Quoi ! monsieur, vous appelez cela passer l’été très-agréablement ! Quels charmants plaisirs ! se promener sur la grande route, jouer au billard avec des femmes qui disputent, dîner seul et soigner des enfants qui ont une fièvre rouge ! vous n’êtes pas difficile à amuser. — Ce n’étaient que de petits nuages, qui ne nous ont pas empêchés de nous divertir infiniment ; d’abord, ces deux dames sont éminemment spirituelles.

— Moi, dit un troisième interlocuteur, j’avoue que je me suis fort ennuyé : j’ai passé deux mortels mois chez les Chèvremont, des vaniteux avares ! c’est tout dire. Rien n’est plus triste, à mon avis, que d’être affreusement mal chez des gens qu’on envie malgré soi à tous les moments, que de souffrir toutes sortes de privations, entouré d’un luxe admirable ! Figurez-vous un château magnifique où l’on manque de tout, un immense salon où l’on ne se tient que parce qu’il est trop bien meublé. On habite les petits appartements, c’est-à-dire qu’on s’entasse dix personnes dans un boudoir où l’on ne serait bien qu’en tête-à-tête, en se plaisant et en s’aimant beaucoup : on y étouffait. Aussi la petite baronne de R… et moi nous passions notre temps dans le jardin. Figurez-vous une salle à manger longue comme un réfectoire, sculptée, ornée de la plus riche façon, et point de tapis sous la table ! Du vin de cabaret dans des cristaux dignes d’un roi ; du linge de toute beauté mal blanchi, mal repassé ; des assiettes du Japon mal essuyées ; du pain humide et grisâtre affectant des formes parisiennes ; des ragoûts exigus, mystérieux et prétentieux, dont l’origine est impénétrable, mais dont l’horrible assaisonnement est certain. Oh ! ne me parlez pas de ces gens qui veulent être à la fois grands seigneurs et raisonnables ; ils se permettent un cuisinier, mais c’est à condition qu’il sera mauvais. J’oubliais de