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LETTRES PARISIENNES (1840).

et l’on n’a pas fait en leur faveur cette flatteuse exception. Ce n’est donc pas à son talent que l’on rend cet hommage ; ce n’est pas non plus à son caractère, une si jeune fille n’a pas encore de caractère. À quoi donc rend-on cet hommage ? direz-vous. Et vous serez bien étonnés quand nous vous répondrons : C’est à son rang.

Le haut rang de l’actrice !… Non, mais le haut rang de la personne ; car chacun est, pour ainsi dire, doué en naissant d’un rang individuel dont il ne peut méconnaître les exigences, soit qu’elles l’entraînent à descendre, soit qu’elles l’obligent à monter. Si nous vivons chacun dans une condition qui nous est faite par la société, nous vivons dans un rang aussi qui nous a été imposé par la nature, et rien n’est plus curieux à observer, dans nos existences, que cette lutte, souvent dangereuse, entre la condition sociale et ce que nous appelons le rang natif ou naturel.

Ainsi tel homme est, selon notre système, né grand seigneur, et cependant ce n’est qu’un ouvrier ; mais voyez comme sa démarche est noble, comme son langage est digne, comme son front est beau, comme son regard est fier ; jamais il n’a supporté une injure, jamais il n’a trompé personne ; quoique pauvre, il est généreux ; c’est un gentilhomme de première race ; c’est aussi un très-bon menuisier, mais il lutte contre le rabot ; il ne sera pas toujours ce qu’il est, il s’élèvera, n’en doutez pas. Il n’arrivera point à être duc et pair, parce que ce but est trop loin de lui et qu’il ne vivra pas assez longtemps pour l’atteindre ; mais il retrouvera son niveau, il se fera dans sa sphère une haute position qui, proportionnellement, le rétablira dans ses droits.

Tel homme, au contraire, est né galérien, et cependant c’est un grand seigneur ; mais voyez, quelle tournure vulgaire ! quel air misérable ! quel front bas ! quels cheveux grossiers ! comme son regard est faux ! comme son langage est trivial ! Il est fastueux, mais il est avide ; il est insolent, mais il est peureux. Il est au premier rang, et pourtant tout le fait souffrir ; il envie tous ceux qu’il méprise ; il est perfide sans avoir besoin de tromper ; il est méchant sans avoir à se venger de personne. Quelle que soit sa haute position, cet homme