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LE VICOMTE DE LAUNAY.

qu’elles vont au bal pour boire du vin de Champagne, et qu’elles oublient toujours leur éventail sur le buffet.

Heureusement, et par compensation, il y a d’autres femmes qui sont nées bergères et qui se maintiennent bergères jusqu’à quatre-vingt-dix ans. Elles chérissent les petits chapeaux coquets, capricieusement posés sur l’oreille. Elles sont toujours, et dès l’aurore, pavoisées de légers rubans, couronnées de fleurs, pomponnées de bouffettes et de rosettes. Dans l’âge le plus avancé, elles conservent une candeur enchanteresse, leur regard exprime un étonnement enfantin ; elles ne croient pas au mal, elles ignorent tout, elles n’ont jamais rien vu. D’une voix douce et flûtée, elles s’écrient à chaque instant : « Quoi ! vraiment ! je ne le savais pas… je n’en ai jamais entendu parler… est-ce que c’est possible ?… » Et cela à propos des événements les plus connus, des personnages les plus célèbres, des malices les plus vulgaires. Ces antiques Parisiennes ont toujours l’air d’arriver de leur village. Aussi leur ombrelle mignonne et rosée a un faux air de houlette très-pastoral, et leur chien, qui n’aboie jamais, a des prétentions d’agneau très-prononcées.

Nous ne parlerons point des marquises nées soubrettes, si piquantes et si aimables par le mélange de leurs grands airs et de leur gentillesse ; — nous ne parlerons point non plus des femmes de chambre nées princesses, qui persistent à garder leur rang malgré vous, et qui veulent bien vous faire la grâce de vous habiller, à condition que vous les traiterez en souveraines : servantes orgueilleuses et imposantes à qui l’on n’ose rien ordonner ; — nous parlerons encore moins de ces pauvres filles du peuple nées fatalement petites-maîtresses, et qui sacrifient leur honnêteté à leurs instincts d’élégance ; — nous ne parlerons pas des Parisiennes nées provinciales et des provinciales nées Parisiennes. Nous terminerons en disant qu’il y a des actrices nées grandes dames, qui savent se faire une dignité de leur talent, qui savent dès le premier jour se placer sur un piédestal d’où elles ne descendent jamais ; leurs manières calmes et simples sont remplies de grandeur et de distinction ; elles ne visent point à l’effet, mais elles ne sont ni embarrassées ni flattées de l’effet qu’elles ont produit. Elles