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LETTRES PARISIENNES (1837).

toyablement ; cette foule déconcertée descendant l’escalier, s’écoulant dans les corridors, s’agitant dans le vestibule avant, bien avant l’heure où elle comptait voir se terminer ses plaisirs ; ces deux mille personnes disant toutes la même chose, ayant toutes la même idée ; deux mille personnes mystifiées à la même heure et du même coup ; et puis toute une soirée perdue, une parure inutile, un destin manqué : « J’ai refusé un concert charmant, disait une femme. — Si j’avais su cela ! disait une autre. J’aurais bien mieux fait de rester chez moi, souffrante comme je suis, disait celle-ci. — Que va-t-il faire ? je ne le verrai pas ce soir ! » disait celle-là. Et puis toutes répétaient en chœur : « Que c’est désagréable ! j’ai renvoyé ma voiture ! Que faire ? » Les femmes qui étaient venues en fiacre, surtout, disaient cela très-haut.

L’événement affligeant de la semaine, ce n’est pas le rejet de la loi de disjonction, loi qu’il ne nous appartient pas de juger, et qui d’ailleurs était de nature à diviser également les plus loyales opinions et les consciences les plus pures : ce qu’il y a eu de triste, c’est la conduite de la Chambre en cette circonstance ; c’est l’agitation sans dignité de ces représentants d’un pays ; c’est l’aspect de ces magistrats sautant sur leur banc comme des révoltés de collége ; de ces législateurs jetant leurs chapeaux en l’air comme les lazzaroni du troisième acte de la Muette, criant bravo comme des claqueurs, et s’embrassant entre eux avec folie comme des convives qui ont le vin tendre. C’est cet enfantillage des hommes chauves de la France qui nous fait frémir pour elle. Comment se fait-il que depuis vingt ans l’éducation parlementaire n’ait pas fait plus de progrès ! Comment se fait-il que ces députés, qui sont fort convenables dans le monde, où ils ne représentent que leur famille, qui se comportent à merveille dans un salon où personne ne fait attention à eux, tout à coup deviennent turbulents, inconvenants, injurieux, perdent le sentiment de leur dignité, le souvenir de leur éducation, sitôt qu’ils font partie d’une assemblée régnante comme représentants du pays ; sitôt qu’il leur faut comparaître devant la France qu’ils gouvernent, et devant l’Europe qui les juge ? Nous expliquera-t-on ce mystère ? Et n’avons-nous pas le droit de gémir en voyant toujours nos destinées