Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
LETTRES PARISIENNES (1837).

la royauté ; qui croit et qui veut croire, ce qui est déjà beaucoup. Ce monde est composé d’âmes sincères et d’hypocrites, comme tous les mondes connus ; mais toutefois la majorité est noble, généreuse, et si ces cœurs privilégiés, que de rares combats viennent éprouver, pouvaient se défendre de leur juste orgueil et de leur involontaire dédain pour ce qui ne leur ressemble pas, il faudrait les donner pour modèles, il faudrait les admirer.

Le second de ces deux mondes est un chaos d’idées les plus étranges, une macédoine de toutes choses, qui ne ressemble à rien ; un mélange d’incrédulité et de préjugés, de petites indépendances et de grandes préventions, de vieilles manies et de besoins nouveaux, de fantaisies et de routines… impossible à comprendre. Là, rien de fixe, point de lois, des principes pour rien ; tout y est vague, les usages, les vertus, les devoirs, les ridicules même. Ce qui choque les uns peut plaire aux autres ; mais certainement nul n’aura le suffrage universel. Vous arrivez avec assurance, vous pensez devoir être à l’aise avec des gens qui s’y sont mis ; point du tout, il y a dans cet océan d’idées jeunes et vieilles, bonnes et fausses, il y a tout à coup des écueils de préjugés invisibles et inattendus, contre lesquels vous venez vous briser ; et cela sans défiance, parce qu’il est de certaines indignations que l’on ne saurait prévoir. Là, par exemple, un homme qui a donné sa foi à tous les gouvernements depuis vingt années, se formalisera si vous soutenez que le serment politique est chose folle et inutile ; une femme qui se compromet pour toutes les religions, qui admet tous les cultes à l’honneur de lui rendre hommage, se révoltera tout à coup contre un jeune étourdi qui avouera franchement que pendant le carême il fuit les repas de famille, parce qu’un dîner maigre l’attriste ; une coquette se scandalisera aujourd’hui d’un mot léger qu’hier elle aura dit ; c’est un abandon inégal, une pruderie capricieuse, sur lesquels on ne peut compter : quels que soient les discours que vous teniez, il y aura toujours là quelqu’un que vos paroles révolteront. Les uns vous nommeront cafard ou jeune homme très-chrétien, si vous parlez avec respect d’une chose respectable ; les autres vous traiteront de furieux, d’homme de mauvaise société, si