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LE VICOMTE DE LAUNAY.

vous faites une mauvaise plaisanterie sur une aventure de danseuse ou sur le bal de Musard. Après tout, ce monde n’est ni plus méchant ni meilleur que le premier ; et nous dirons de lui ce que nous disons de l’autre : il est composé d’âmes sincères et d’hypocrites comme tous les mondes connus ; car il est de faux mauvais sujets, comme il est de faux dévots, et l’on ne saurait dire vraiment laquelle de ces deux hypocrisies est la plus pénible et la plus coupable. Ce qu’il y a de certain, c’est que le premier de ces mondes que nous avons si longuement dépeints vit de considération, de respect — et s’ennuie, tandis que le second ne vit que de plaisir — et s’amuse ; que le second méprise sincèrement le premier de s’ennuyer ainsi ; pendant que le premier méprise le second de s’amuser toujours. Les uns disent : « Ils ne sortent jamais, ils ont de vieux chevaux qui tirent péniblement de vieilles calèches fermées ; les femmes portent de petites douillettes marron, pauvres, étroites, et ils ont deux cent mille livres de rente ! cela fait pitié ! » Les autres disent : « Ils sont toujours en fête, ce sont des bals, des spectacles, des soupers qui n’en finissent pas ; ils rentrent au jour, leurs femmes dépensent des sommes folles pour leur toilette, et ils n’ont jamais le sou ! cela fait pitié ! »

Or, depuis le mercredi des Cendres, le premier monde vit en retraite, et il n’a pas pris part aux fêtes que nous avons racontées. Le second monde se calme un peu depuis huit jours. C’est le contraire de la fable de la Cigale et la Fourmi :

« Que faisiez-vous au temps de jeûne ? — Je dansais, ne vous déplaise. — Eh bien, chantez maintenant. »

Et maintenant il chante. Le monde joyeux va aux concerts parce qu’il n’y a plus de bals. Sans doute ces deux camps ennemis se partagent la capitale bien également, car les églises sont aussi pleines que les salles de spectacle. La foule encombre Notre-Dame autant que l’Opéra, et c’est plaisir de voir cette jeunesse française venir d’elle-même, indépendante et généreuse, chercher des enseignements, apporter des croyances au pied de ces mêmes autels où jadis on ne voyait que des fonctionnaires publics en extase, tremblant devant une inquisition invisible ; que des pénitents de cour, des pharisiens de ministères ; humbles ambitieux, dont la piété flatteuse ne