Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
LE VICOMTE DE LAUNAY.

des amandiers en fleurs ; les hirondelles se consultent, et leur retour est retardé ; Longchamps est morfondu, et si l’on n’y est pas allé en traîneaux, c’est par respect pour les usages. Les robes nouvelles étaient peut-être charmantes sous les manteaux ; les femmes étaient peut-être roses et fraîches sous leurs voiles ; les chevaux étaient peut-être superbes, mais ils allaient au pas, et nous allions si vite pour nous réchauffer, que nous n’avons rien vu. Malheur à qui aurait paru ce matin aux Champs-Élysées en habit de printemps ; ce n’est pas à Longchamps qu’on l’aurait conduit, mais à Charenton.

Cette semaine on jeûne, on prie : les saintes cérémonies de ces derniers jours de carême sont si belles ; ces abstinences, ce deuil austère ont tant de pouvoir sur l’imagination, qu’ils raniment la ferveur des âmes les plus faibles, qu’ils réveillent le courage des indifférents ; car aujourd’hui ce ne sont plus les philosophes qui sont athées, ce sont les cœurs désenchantés ; et ceux-là, avec de la poésie on les ramène. Et quoi de plus consolant, de plus sublime que cette pensée, que chaque privation nous est comptée et nous rachète une faute ? Oh ! qu’elle est généreuse, cette religion, qui d’un sacrifice nous fait une espérance ; qui nous montre toujours après la nuit, et même à cause de la nuit, un beau jour ; qui nous promet le bonheur comme une conséquence des larmes ; qui nous fait d’un revers un gage de triomphe, et nous dit : Souffrir, c’est mériter ! Il nous arrive parfois, quand nous sommes dans une église, de chercher à pénétrer dans toutes ces pensées qui viennent s’élever jusqu’au ciel, à surprendre sur ces lèvres doucement agitées le secret de chaque prière… et tout à coup un désir de roi, ou plutôt de Dieu, nous saisit… et nous payerions de nos jours, de tout l’avenir de notre vie, le pouvoir d’exaucer tous ces vœux ensemble, par miracle et subitement. Vous figurez-vous alors le transport de toute cette foule, ces milliers de cœurs enivrés, ces hymnes de reconnaissance, ce Te Deum spontané sortant de toutes les bouches, ces flammes de joie jaillissant de tous les yeux ? Oh ! la belle émotion ! Heureux ceux qui ont la puissance : c’est ainsi qu’il en faudrait abuser !

Nous n’imiterons pas plusieurs journaux qui vantent les prédications de la chaire, comme on vante les discours de la