Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/211

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Paris, 25 décembre 1846.

Mon cher ami, j’ai communiqué votre lettre à Léon Faucher. Il dit que « vous ne connaissez pas la France. » Pour moi, je suis convaincu que nous ne pouvons réussir qu’en éveillant le sentiment de la justice, et que nous ne pourrions pas même prononcer le mot justice si nous admettions l’ombre de la protection. Nous en avons fait l’expérience ; et la seule fois que nous avons voulu faire des avances à une ville, elle nous a ri au nez. — C’est cette conviction et la certitude où je suis qu’elle n’est pas assez partagée qui m’a principalement engagé à accepter la direction du journal. — Non que ce soit une direction bien réelle : il y a un comité de rédaction qui a la haute main ; mais je puis espérer néanmoins de donner à l’esprit de cette feuille une couleur un peu tranchée. Quel sacrifice, mon ami, que d’accepter le métier de journaliste et de mettre mon nom au bas d’une bigarrure ! mais je ne vous écris pas pour vous faire mes doléances.

Marseille ne paraît, pas plus que Bordeaux, comprendre la nécessité de concentrer l’action à Paris. Cela nous affaiblit. Nos adversaires n’ont pas fait cette faute ; et quoique leur association recèle des germes innombrables de division, ils compriment ces germes par leur habileté et leur abnégation. Si vous avez occasion de voir les meneurs de Marseille, expliquez-leur bien la situation.

The cry contre l’Angleterre nous étouffe. On a soulevé contre nous de formidables préventions. Si cette haine contre la perfide Albion n’était qu’une mode, j’attendrais patiemment qu’elle passât. Mais elle a de profondes racines dans les cœurs. Elle est universelle, et je vous ai dit, je crois, que dans mon village on n’ose plus parler de moi qu’en famille. De plus, cette aveugle passion est si bien à la convenance des intérêts protégés et des partis politiques,