Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/497

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Ils recueillent enfin, après dix longues années, le seul mais précieux héritage que puisse laisser un homme de cette trempe : un solennel hommage, un juste tribut d’admiration rendus à sa mémoire par une bouche éloquente, et sanctionnés par le sympathique et enthousiaste assentiment d’un public éclairé.

Je dois le dire cependant, si l’honorable secrétaire perpétuel fît une juste appréciation de l’homme en ce qui concerne ses actes, son caractère, son courage, ses vertus, il ne me parut pas placer le publiciste à sa véritable hauteur. Peut-être en cela son verdict a-t-il été trop influencé par celui de l’opinion publique, qui semble n’avoir pas suffisamment apprécié, de bien s’en faut, la valeur philosophique des ouvrages de M. Comte. Ce jugement, on pourrait le comprendre s’il se rapportait uniquement au style. Je l’ai déjà dit : dans un ouvrage qui traite, selon la méthode scientifique, ces vastes sujets sur lesquels Rousseau et Montesquieu ont répandu les couleurs de leur brillante imagination, M. Comte ne paraît pas s’être attaché à rendre à ses pensées saillantes par l’éclat de la forme, la variété des tons, l’imprévu des antithèses et toutes les ressources d’une rhétorique étudiée. On conçoit qu’un homme tel que l’a dépeint M. Mignet ait rejeté ces vains ornements qui, dans sa pensée, sont des piéges pour le lecteur quand ils ne le sont pas pour l’écrivain. Plus M. Comte atteignait à la simplicité de l’expression, plus il croyait éloigner de ses écrits les chances de l’erreur ; et la Vérité était le seul objet de son culte, celui auquel il était prêt à sacrifier, s’il l’eût fallu, bien plus que sa renommée littéraire.

Ne croyons pas néanmoins que ses ouvrages soient dépourvus d’éloquence. « Bien qu’il veuille, dit M. Mignet, appliquer dans sa rigueur et sa sécheresse la méthode analytique, M. Comte a l’esprit trop résolu et l’âme trop bouillante pour exposer sans s’émouvoir les longues tra-