Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/561

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à la guerre des portefeuilles, engagée au sein des Chambres et propagée sur toute la ligne des journaux. Est-il donc si difficile d’en calculer les effets sur le corps électoral ? Et quand, jour après jour, la tribune et la presse s’appliquent à ne laisser arriver au public que de fausses lueurs, de faux jugements, de fausses citations et de fausses assertions, est-il possible d’avoir quelque confiance dans le verdict prononcé par le grand jury national, ainsi égaré, circonvenu, passionné ? Qu’est-il appelé à juger ? Ses intérêts. Jamais on ne lui en parle ; car la bataille ministérielle se livre à Ancône, à Taïti, en Syrie, partout où le public n’est pas. Et sur ce qui se passe dans ces régions lointaines, que sait-il ? Rien que ce que lui disent des orateurs et des écrivains, dont, de leur propre aveu, il n’est pas une parole articulée ou écrite qui ne leur soit inspirée par le désir furieux d’un succès personnel.

Et puis, si je voulais soulever le voile qui couvre non plus les erreurs, mais les turpitudes de l’urne électorale ! Pourquoi l’électeur fait-il tant valoir son suffrage, exige-t-il qu’on le mendie, et le considère-t-il comme un précieux objet de commerce ? Parce qu’il sait que ce suffrage contient la fortune de l’heureux candidat qui le sollicite. Pourquoi, de son côté, le candidat est-il si souple, si rampant, si prodigue de promesses, si peu soucieux de toute dignité ? Parce qu’il a des vues ultérieures ; parce que la députation est pour lui un moyen ; parce que la constitution du pays lui permet de voir dans le lointain, en cas de succès, des perspectives enivrantes, des places, des honneurs, des richesses, du pouvoir et ce manteau doré qui cache toutes les hontes et absout toutes les bassesses.

Aussi, où en sommes-nous ? Où en sont les électeurs ? Combien en est-il parmi eux qui osent rester et se montrer honnêtes ? qui déposent loyalement dans l’urne un bulletin, expression fidèle de leur foi politique ? Oh ! ils craindraient