Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/68

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user avec discernement. Je ne crois pas que le monde ait tort, dans ce sens, d’honorer le riche ; son tort est d’honorer indistinctement le riche honnête homme et le riche fripon…


Bayonne, 20 octobre 1821.


Tout le monde court après le bonheur, tout le monde le place dans une certaine situation de la vie et y aspire ; celui que tu attaches à la vie retirée n’a peut-être d’autre mérite que d’être aperçu de loin. J’ai plus aimé que toi la solitude, je l’ai cherchée avec passion, j’en ai joui ; et, quelques mois encore, elle me conduisait au tombeau. L’homme, le jeune homme surtout, ne peut vivre seul ; il saisit avec trop d’ardeur, et si sa pensée ne se partage pas sur mille objets divers, celui qui l’absorbe le tue.

J’aimerais bien la solitude ; mais j’y voudrais des livres, des amis, une famille, des intérêts ; des intérêts, oui, mon ami, ne ris pas de ce mot ; il attache, il occupe. Le philosophe même, ami de l’agriculture, s’ennuierait bientôt, n’en doute pas, s’il devait cultiver gratis la terre d’autrui. C’est l’intérêt qui embellit un domaine aux yeux du propriétaire, qui donne du prix aux détails, rend heureux Orgon et fait dire à l’Optimiste :

Le château de Plainville est le plus beau du monde.

Tu sens bien que, par intérêt, je ne veux point parler de ce sentiment qui approche de l’égoïsme.

Pour être heureux, je voudrais donc posséder un domaine dans un pays gai, surtout dans un pays où d’anciens souvenirs et une longue habitude m’auraient mis en rapport avec tous les objets. C’est alors qu’on jouit de tout, c’est là le vita vitalis. Je voudrais avoir pour voisins, ou même pour cohabitants, des amis tels que toi, Carrière et quelques autres. Je voudrais un bien qui ne fût ni assez grand pour que j’eusse la faculté de le négliger, ni assez