Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/73

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Bayonne, 4 mars 1846.


Mon bon et vieil ami, ta lettre m’a réjoui le cœur, et il me semblait en la lisant que vingt-cinq ans de moins pesaient sur ma tête. Je me reportais à ces jours heureux où nos bras toujours entrelacés étaient l’image de notre cordiale union. Vingt-cinq ans ! hélas ! ils sont bien vite revenus faire sentir leur poids.

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Je crois qu’en elle-même la nomination de membre correspondant de l’Institut a peu d’importance, et je crains bien que beaucoup de médiocrités n’aient pu se parer de ce titre ; mais les circonstances particulières qui ont précédé ma nomination ne me permettent pas de repousser tes amicales félicitations. — Je n’avais publié qu’un livre et, dans ce livre, la préface seule était mon œuvre. Rentré dans ma solitude, cette préface a travaillé pour moi, et à mon insu ; car la même lettre qui m’a appris mon élection m’a annoncé ma candidature. — Jamais de la vie je n’avais pensé à cet honneur.

Ce livre est intitulé : Cobden et la Ligue. Je te l’envoie par ce courrier, ce qui me dispense de t’en parler. — En 1842 et 1843, je m’efforçai d’attirer l’attention sur le sujet qui y est traité. J’adressai des articles à la Presse, au Mémorial Bordelais et à d’autres journaux. Ils furent refusés. Je vis que ma cause venait se briser contre la conspiration du silence ; et je n’avais d’autre ressource que de faire un livre. — Voilà comment je me suis trouvé auteur sans le savoir. Maintenant je me trouve engagé dans la carrière, et je le regrette sincèrement ; bien que j’aie toujours aimé l’économie politique, il m’en coûte d’y donner exclusivement mon attention, que j’aimais à laisser errer librement sur tous les objets des connaissances humaines. Encore, dans cette science, une seule question m’entraîne et va m’absorber :