Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/85

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Il me parut évident que nous étions trahis. Le roi, me disais-je, ne peut avoir qu’un espoir, celui de conserver Bayonne et Perpignan ; de ces deux points, soulever le Midi et l’Ouest et s’appuyer sur l’Espagne et les Pyrénées. Il pourrait allumer une guerre civile dans un triangle dont la base serait les Pyrénées et le sommet Toulouse ; les deux angles sont des places fortes. Le pays qu’il comprend est la patrie de l’ignorance et du fanatisme ; il touche par un des côtés à l’Espagne, par le second à la Vendée, par le troisième à la Provence. Plus j’y pensai, plus je vis clairement ce projet. J’en fis part aux amis les plus influents qui, par une faute inexcusable, ont été appelés par le vœu des citoyens à s’occuper des diverses organisations et n’ont plus le temps de penser aux choses graves.

D’autres que moi avaient eu la même idée, et à force de crier et de répéter, elle est devenue générale. Mais que faire, surtout quand on ne peut délibérer et s’entendre, ni se faire entendre ? Je me retirai pour réfléchir et je conçus plusieurs projets.

Le premier, qui était déjà celui de toute la population bayonnaise, était d’arborer le drapeau et de tâcher, par ce mouvement, d’entraîner la garnison du château et de la citadelle. Il fut exécuté hier, à deux heures de l’après-midi, mais par des vieux qui n’y attachaient pas la même idée que Soustra, moi et bien d’autres ; en sorte que ce coup a manqué.

Je pris alors mon passe-port pour aller en poste chercher le général Lamarque. Je comptais sur sa réputation, son grade, son caractère de député, son éloquence pour entraîner les deux colonels ; au besoin sur sa vigueur, pour les arrêter pendant deux heures et se présenter à la citadelle, en grand costume, suivi de la garde nationale avec le drapeau en tête. J’allais monter à cheval quand on vint m’assurer que le général est parti pour Paris, ce qui fit