Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/94

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moi, je pense avec plaisir que la méfiance espagnole l’empêchera de tomber dans l’abîme ; car les étrangers, après avoir apporté leurs plans, seront forcés, pour les faire réussir, de faire venir des capitaux et souvent des ouvriers français.

Donne-moi de temps en temps des nouvelles de Mugron, mon cher Félix, tu sais combien le patriotisme du clocher nous gagne quand nous en sommes éloignés.

Adieu, mon cher Félix, mes souvenirs à ta sœur.

Madrid, le 17 août 1840.

… Tu me fais une question à laquelle je ne puis répondre : Comment le peuple espagnol a-t-il pu laisser chasser et tuer les moines ? Moi-même je me le demande souvent ; mais je ne connais pas assez le pays pour m’expliquer ce phénomène. Ce qu’il y a de probable, c’est que le temps des moines est fini partout. Leur inutilité, à tort ou à raison, est une croyance généralement établie. À supposer qu’il y eût en Espagne 40 000 moines, intéressant autant de familles composées de 5 personnes, cela ne ferait que 200 000 habitants contre 10 millions. Leurs immenses richesses ont pu tenter beaucoup de gens de la classe aisée ; l’affranchissement d’une foule de redevances a pu tenter beaucoup de gens de la classe du peuple. Le fait est qu’on en a fini avec cette puissance ; mais, à coup sûr, jamais mesure, à la supposer nécessaire, n’a été conduite avec autant de barbarie, d’imprévoyance et d’impolitique.

Le gouvernement était aux mains des modérés, qui désiraient l’abolition des couvents, mais n’osaient y procéder. Financièrement, on espérait avec le produit des biens nationaux payer les dettes de l’Espagne, éteindre la guerre civile et rétablir les finances. Politiquement, on voulait, par la division des terres, rattacher une partie considérable