Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas à se laisser transporter. Je puis dire du moins que les habitants de Stockport[1], quoique arrivés au dernier degré de misère, seraient unanimes pour répondre : « Nous savons trop bien ce qu’est la tendre clémence du gouvernement chez nous pour nous mettre à sa merci de l’autre côté de l’Atlantique. » (Applaudissements.) Je n’ai aucune objection à faire contre l’émigration volontaire. Dans un pays comme celui-ci, il y a toujours des hommes que leur goût ou les circonstances poussent vers d’autres régions. Mais l’émigration, lorsqu’elle provient de la nécessité de fuir la famine légale, c’est de la déportation et pas autre chose. (Bruyantes acclamations.) Si l’on venait vous raconter qu’il existe une île dans l’océan Pacifique, à quelques milles du continent, dont les habitants sont devenus les esclaves d’une caste qui s’empara du sol il y a quelque sept siècles ; si l’on vous disait que cette caste fait des lois pour empêcher le peuple de manger autre chose que ce qu’il plaît au conquérant de lui vendre ; si l’on ajoutait que ce peuple est devenu si nombreux, que le territoire ne suffit plus à sa subsistance, et qu’il est réduit à se nourrir de racines ; enfin, si l’on vous apprenait que ce peuple est doué d’une grande habileté, qu’il a inventé les machines les plus ingénieuses, et que néanmoins ses maîtres l’ont dépouillé du droit d’échanger les produits de son travail contre des aliments ; si ces détails vous étaient rapportés par quelque voyageur philanthrope, par quelque missionnaire récemment arrivé des mers du Sud, et s’il concluait enfin en vous annonçant que la caste dominante de cette île s’apprête à en transporter l’habile et industrieuse population vers de lointaines et stériles solitudes, que diriez-vous, habitants de Londres ? que dirait-on à Exeter-Hall[2], dans cette enceinte dont l’usage a été refusé à la ligue ? (Honte ! honte !) Oh ! Exeter-Hall retentirait des cris d’indignation de ces philanthropes dont la charité ne s’exerce qu’aux antipodes ! On verrait la foule des dames élégantes tremper leurs mouchoirs brodés de larmes de

  1. M. Cobden représente au parlement la ville de Stockport.
  2. C’est la salle où se tiennent les assemblées de l’association pour la propagation des missions étrangères.