Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mier ministre du gouvernement d’un peuple libre ? (Non, non.) — La pente est glissante quand on quitte le sentier de la justice. Oubliez la justice, et vous oublierez bientôt la charité, et l’humanité vous trouvera sourde à ses cris. — Un droit fixe ! Mais c’est toujours la protection sous un autre nom, et la protection, c’est cela même que la Ligue est résolue de combattre et d’anéantir à jamais. — Et qu’entend-on protéger ? L’agriculture, dit-on ; mais quelle branche d’agriculture ? quelle classe de personnes ? Non, non, dépouillée de sophismes, d’énigmes, de circonlocutions, cette protection, c’est la protection des rentes, et rien de plus. (Approbation.) Protection aux fermiers ! — Et quel fermier s’est jamais enrichi par elle ? — Protection à l’ouvrier des campagnes ! Oh ! oui ! vous l’avez protégé jusqu’à ce qu’il ait descendu tous les degrés de l’échelle sociale ; jusqu’à ce que ses vêtements aient été convertis en haillons ; sa chaumière en une hutte ; jusqu’à ce que sa femme et ses enfants, faute de vêtements, aient été forcés de fuir le service divin. Votre protection l’a poursuivi du champ à la maison de travail, et de la maison de travail à la cour de justice, et de la cour de justice au cachot, et du cachot à la tombe. C’est sous la froide pierre qu’il trouvera enfin plus de protection réelle qu’il n’en obtint jamais de vos lois. (Acclamations prolongées)

« Et pourquoi privilégier une classe ? Qu’y a-t-il dans la condition d’un rentier qui lui donne droit à être protégé aux dépens de la communauté ? Pourquoi pas protéger aussi le philosophe, l’artiste, le poëte ? À pareil jour naquit un poëte, et les Écossais qui m’entendent savent à qui je fais allusion, car beaucoup de leurs compatriotes sont réunis aujourd’hui pour célébrer l’anniversaire de Robert Burns. La nature en avait fait un poëte ; la protection aristocratique en fit un employé. Mais la seule protection qui lui convint, c’est celle qu’il devait à ses bras vigoureux et à son âme élevée. Le servilisme lui faisait dire :


Je n’ai pas besoin de me courber si bas,
Car, grâce à Dieu, j’ai la force de labourer ;
Et quand cette force viendra à me faire défaut,
Alors, grâce à Dieu, je pourrai mendier.