Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/271

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ments d’une multitude innombrable. M. O’Connell paraît très-ému. Il essaye en vain de se faire entendre. Enfin le silence s’étant fait, il s’exprime en ces termes :


En me présentant au milieu de vous, mon intention était de faire ce soir un discours éloquent ; mais j’en cède la partie la plus sonore à un autre, et je commence par vous présenter 100 l. s. de la part d’un de mes amis qui est aussi un ami de la justice. (Applaudissements.) De telles souscriptions ont aussi leur éloquence, et si vous en obtenez 999 semblables, vous aurez vos 100,000 l. s. (Rires d’approbation.) Mais hélas ! là s’arrête mon éloquence, car où trouverais-je des expressions, de quel langage humain pourrais-je revêtir les sentiments de gratitude et de reconnaissance dont mon cœur est en ce moment pénétré ? On dit que ma chère langue irlandaise excelle à exprimer les affections tendres, mais il n’est pas au pouvoir d’une langue humaine, il n’est pas au pouvoir de l’éloquence, fût-elle imprégnée de la plus séraphique douceur, de rendre ces élans de gratitude, d’orgueil, d’excitation d’âme que votre accueil me fait éprouver. (Nouvelles acclamations.) Oh ! cela est bien à vous ! et c’est pour cela que vous l’avez fait. Cela est généreux de votre part, et vous avez voulu me donner cette consolation ! À toute autre époque de ma vie j’aurais été justement fier de votre réception ; mais je puis dire que je me trouve dans des circonstances, auxquelles je ne ferai pas autrement allusion[1], — qui décuplent et centuplent ma reconnaissance. — Je suis venu ici ce soir résolu à garder cette neutralité politique qui est le caractère distinctif de votre grande lutte. Il doit m’être permis de dire cependant, puisqu’aussi bien cela ne s’écarte pas de la question des lois-céréales, que je me réjouis de voir les ducs de Buckingham et de Richmond commencer à soupçonner qu’ils pourraient bien, eux aussi, être des « conspirateurs[2]. » (Approbation et rires.) C’est pourquoi ils sont partis

  1. M. O’Connell parut au meeting de l’Anti-corn-law-league, dans l’intervalle qui sépara sa condamnation de son emprisonnement (21 février 1844).
  2. À cette époque, l’aristocratie anglaise organisait une agitation en faveur des monopoles ; la loi lui était aussi bien applicable qu’à l’agitation irlandaise.