Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/297

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pas nourrir ses propres enfants ; mais qu’elle les voit errer dans l’oisiveté, s’accroupir dans l’abattement, et languir et mourir d’inanition sous les murs de ses monuments, sur les marches de ses palais, sous les portiques et jusque dans le sanctuaire de ses temples ! Quel est l’étranger connaissant notre position géographique, l’étendue et les ressources de notre empire, le génie, l’habileté et l’énergie de nos concitoyens, qui pourrait jamais croire qu’ici où siège le gouvernement, dans ce pays, la grande usine du monde, le centre du commerce ; dans ce pays où s’entreposent tant de richesses, où s’élaborent tant d’idées et d’intelligence, il y a plus d’oisiveté, de misère, de privation, de souffrances physiques et morales, qu’on n’en pourrait trouver, à population égale, dans aucune autre contrée du monde ? Et pourtant voilà où en est la puissante Angleterre. Peut-être les choses se sont-elles un peu améliorées dans quelques comtés de la Grande-Bretagne, et, s’il en est ainsi, nous en remercions le Dieu tout-puissant, au nom des malheureux et des indigents. Mais même en ce moment, vous pouvez rencontrer des multitudes d’hommes oisifs tout le jour, tandis que ceux qui sont occupés ne reçoivent que d’insuffisants salaires et n’obtiennent, après une longue semaine de travail incessant, qu’une chétive pitance à peine suffisante au soutien de la vie… Oh ! si vous cherchez, vous trouverez bien des intérieurs désolés, — où le feu s’est éteint au foyer, — où la coupe est vide, — où les couches ont été dépouillées et les couvertures vendues pour du pain, — où la mère a laissé sur la paille l’enfant s’endormir au bruit de ses propres vagissements, — où le père de famille qui, s’il eût été libre, aurait pu et voulu être un artisan honnête, actif et satisfait, n’est qu’un vagabond affamé, sans ressources, sans courage et sans espoir ; — triste famille, ou plutôt, quand elle est réunie dans sa sale nudité, triste juxtaposition de créatures dégradées, dont l’irrésistible action de la misère a détruit les mutuelles sympathies. Là, vous ne rencontrerez plus le sentiment de la dignité personnelle. Là, le murmure s’élève contre Dieu, comme la malédiction contre les gouvernants et les législateurs. Là, s’est éteinte toute vénération pour les lois sociales ou pour les divins commandements. Là, des projets de rapine