Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quences fatales que prédisaient leurs adversaires. Ils croyaient sincèrement ces craintes chimériques, et fussent-elles fondées, ce n’était pas une raison, disaient-ils, pour ajourner un grand acte de justice. On nous disait : Vous faites tort à ceux à qui vous voulez faire du bien, aux nègres. On nous opposait sans cesse le danger pour les noirs de leur affranchissement immédiat. Un membre du Parlement m’affirmait un jour, devant des milliers de nos concitoyens réunis pour nous entendre discuter cette question, que si nous émancipions les nègres, ils rétrograderaient dans leur condition ; qu’au lieu de se tenir debout comme des hommes, ils prendraient bientôt l’humble attitude des quadrupèdes. (Rires.) Il faisait un tableau effrayant de la misère qui les attendait, et y opposait la poétique description de leur bonheur, de leur innocence et même de leur luxe actuels. (Rires.) Si vous doutez de ce que je dis, informez-vous auprès du membre du Parlement qui parla le dernier, hier soir, à la Chambre. (Rires.) Oui, on nous disait gravement que l’émancipation empirerait le sort des noirs, et paralyserait les philanthropiques projets des planteurs. Les Antilles, d’ailleurs, allaient être inondées de sang, les habitations incendiées, et nos navires devaient pourrir dans nos ports. Vous pouvez, monsieur le président, attester la vérité de mes paroles. On calculait le nombre de vaisseaux devenus inutiles et les millions anéantis. Au milieu de tous ces pronostics funèbres, quelle était notre devise ? Fiat justitia, ruat cœlum. Quelle était notre constante maxime ? « Le devoir est à nous ; les événements sont à Dieu. » Non, le triomphe d’un grand principe ne peut avoir une issue funeste. Lancez-le au milieu du peuple, et il en est comme lorsqu’une montagne est précipitée dans l’Océan : l’onde s’agite, tourbillonne, écume, mais bientôt elle s’apaise et son niveau poli reflète la splendeur du soleil. (Applaudissements prolongés.) Avons-nous, ou n’avons-nous pas un principe dans ce grand mouvement ? Si nous l’avons, poussons-le jusqu’au bout. Il a été éloquemment démontré dans une précédente séance, par l’orateur qui doit me succéder à cette tribune, que ce que nous défendons, c’est la cause de la moralité ; par des centaines de ministres accourus de toutes les