Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/210

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— Et qu’adviendrait-il s’il votait la réduction de l’armée et de votre contingent ?

— Au lieu d’être fait maréchal, il serait mis à la retraite.

— Comprenez-vous maintenant que vous avez vous-même…

— Passons au cinquième tonneau, je vous prie.

— Celui-ci part pour l’Algérie.

— Pour l’Algérie ! Et l’on assure que tous les musulmans sont œnophobes, les barbares ! Je me suis même demandé souvent s’ils ignorent le médoc parce qu’ils sont mécréants, ou, ce qui est plus probable, s’ils sont mécréants parce qu’ils ignorent le médoc. D’ailleurs, quels services me rendent-ils en retour de cette ambroisie qui m’a tant coûté de travaux ?

— Aucun ; aussi n’est-elle pas destinée à des musulmans, mais à de bons chrétiens qui passent tous les jours en Barbarie.

— Et qu’y vont-ils faire qui puisse m’être utile ?

— Exécuter des razzias et en subir ; tuer et se faire tuer ; gagner des dyssenteries et revenir se faire traiter ; creuser des ports, percer des routes, bâtir des villages et les peupler de Maltais, d’Italiens, d’Espagnols et de Suisses qui vivent sur votre tonneau et bien d’autres tonneaux que je viendrai vous demander encore.

— Miséricorde ! ceci est trop fort, je vous refuse net mon tonneau. On enverrait à Bicêtre un vigneron qui ferait de telles folies. Percer des routes dans l’Atlas, grand Dieu ! quand je ne puis sortir de chez moi ! Creuser des ports en Barbarie quand la Garonne s’ensable tous les jours ! M’enlever mes enfants que j’aime pour aller tourmenter les Kabyles ! Me faire payer les maisons, les semences et les chevaux qu’on livre aux Grecs et aux Maltais, quand il y a tant de pauvres autour de nous !