Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/258

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— Le conte ne serait pas mal, si Robinson n’était pas si absurde.

— Il ne l’est pas plus que le comité de la rue Hauteville.

— Oh ! c’est bien différent. Vous supposez tantôt un homme seul, tantôt, ce qui revient au même, deux hommes vivant en communauté. Ce n’est pas là notre monde ; la séparation des occupations, l’intervention des négociants et du numéraire changent bien la question.

— Cela complique en effet les transactions, mais n’en change pas la nature.

— Quoi ! vous voulez comparer le commerce moderne à de simples trocs ?

— Le commerce n’est qu’une multitude de trocs ; la nature propre du troc est identique à la nature propre du commerce, comme un petit travail est de même nature qu’un grand, comme la gravitation qui pousse un atome est de même nature que celle qui entraîne un monde.

— Ainsi, selon vous, ces raisonnements si faux dans la bouche de Robinson ne le sont pas moins dans la bouche de nos protectionistes ?

— Non ; seulement l’erreur s’y cache mieux sous la complication des circonstances.

— Eh bien ! arrivez donc à un exemple pris dans l’ordre actuel des faits.

— Soit ; en France, vu les exigences du climat et des habitudes, le drap est une chose utile. L’essentiel est-il d’en faire ou d’en avoir ?

— Belle question ! pour en avoir, il faut en faire.

— Ce n’est pas indispensable. Pour en avoir, il faut que quelqu’un le fasse, voilà qui est certain ; mais il n’est pas d’obligation que ce soit la personne ou le pays qui le consomme, qui le produise. Vous n’avez pas fait celui qui vous habille si bien ; la France n’a pas fait le café dont elle déjeune.