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PROPRIÉTÉ ET SPOLIATION.


Cinquième lettre.


Non, les économistes ne pensent pas, comme on le leur reproche, que nous soyons dans le meilleur des mondes. Ils ne ferment ni leurs yeux aux plaies de la société, ni leurs oreilles aux gémissements de ceux qui souffrent. Mais, ces douleurs, ils en cherchent la cause, et ils croient avoir reconnu que, parmi celles sur lesquelles la société peut agir, il n’en est pas de plus active, de plus générale que l’injustice. Voilà pourquoi ce qu’ils invoquent, avant tout et surtout, c’est la justice, la justice universelle.

L’homme veut améliorer son sort, c’est sa première loi. Pour que cette amélioration s’accomplisse, un travail préalable ou une peine est nécessaire. Le même principe qui pousse l’homme vers son bien-être le porte aussi à éviter cette peine qui en est le moyen. Avant de s’adresser à son propre travail, il a trop souvent recours au travail d’autrui.

On peut donc appliquer à l’intérêt personnel ce qu’Esope disait de la langue : Rien au monde n’a fait plus de bien ni plus de mal. L’intérêt personnel crée tout ce par quoi l’humanité vit et se développe ; il stimule le travail, il enfante la propriété. Mais, en même temps, il introduit sur la terre toutes les injustices qui, selon leurs formes, prennent des noms divers et se résument dans ce mot : Spoliation.

Propriété, spoliation, sœurs nées du même père, salut et fléau de la société, génie du bien et génie du mal, puissances qui se disputent, depuis le commencement, l’empire et les destinées du monde !

Il est aisé d’expliquer, par cette origine commune à la Propriété et à la Spoliation, la facilité avec laquelle Rousseau et ses modernes disciples ont pu calomnier et ébranler l’ordre social. Il suffisait de ne montrer l’Intérêt personnel que par une de ses faces.