Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 4.djvu/465

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ces jours-ci l’Assemblée nationale a assisté à un dialogue comique, digne assurément du pinceau de Molière.


M. Thiers, s’adressant du haut de la tribune, et sans rire, à M. Barthélemy Saint-Hilaire : « Vous avez tort, non pas sous le rapport de l’art, mais sous le rapport moral, de préférer pour des Français surtout, qui sont une nation latine, les lettres grecques aux latines. »

M. Barthélemy Saint-Hilaire, aussi sans rire : « Et Platon ! »

M. Thiers, toujours sans rire : « On a bien fait, on fait bien de soigner les études grecques et latines. Je préfère les latines dans un but moral. Mais on a voulu que ces pauvres jeunes gens sussent en même temps l’allemand, l’anglais, les sciences exactes, les sciences physiques, l’histoire, etc. »


Savoir ce qui est, voilà le mal. S’imprégner des mœurs romaines, voilà la moralité !

M. Thiers n’est ni le premier ni le seul qui ait succombé à cette illusion, j’ai presque dit à cette mystification. Qu’il me soit permis de signaler, en peu de mots, l’empreinte profonde (et quelle empreinte !) que l’enseignement classique a imprimée à la littérature, à la morale et à la politique de notre pays.

C’est un tableau que je n’ai ni le loisir ni la prétention d’achever, car quel écrivain ne devrait comparaître ? Contentons-nous d’une esquisse.

Je ne remonterai pas à Montaigne. Chacun sait qu’il était aussi Spartiate par ses velléités qu’il l’était peu par ses goûts.

Quant à Corneille, dont je suis l’admirateur sincère, je crois qu’il a rendu un triste service à l’esprit du siècle en revêtant de beaux vers, en donnant un cachet de grandeur sublime à des sentiments forcés, outrés, farouches, anti-sociaux, tels que ceux-ci :