Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/122

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Puisque vous voulez bien, Monsieur, m’ouvrir les colonnes de la Voix du Peuple, je poserai devant vos lecteurs, et m’efforcerai de résoudre ces deux questions :

1o L’intérêt des capitaux est-il légitime ?

2o Est-il prélevé aux dépens du travail et des travailleurs ?

Nous différons sur la solution ; mais il est un point sur lequel nous sommes certainement d’accord : c’est que l’esprit humain ne peut s’attaquer (sauf les problèmes religieux) à des questions plus graves.

Si c’est moi qui me trompe, si l’intérêt est une taxe abusive, prélevée par le capital sur tous les objets de consommation, j’aurai à me reprocher d’avoir, à mon insu, étançonné par mes arguments le plus ancien, le plus effroyable et le plus universel abus que le génie de la spoliation ait jamais imaginé ; abus auquel ne se peuvent comparer, quant à la généralité des résultats, ni le pillage systématique des peuples guerriers, ni l’esclavage, ni le despotisme sacerdotal. Une déplorable erreur économique aurait tourné contre la démocratie cette flamme démocratique que je sens brûler dans mon cœur.

Mais si l’erreur est de votre côté, si l’intérêt est non-seulement naturel, juste et légitime, mais encore utile et profitable, même à ceux qui le paient, vous conviendrez que votre propagande ne peut que faire, malgré vos bonnes intentions, un mal immense. Elle induit les travailleurs à se croire victimes d’une injustice qui n’existe pas ; à prendre pour un mal ce qui est un bien. Elle sème l’irritation dans une classe et la frayeur dans l’autre. Elle détourne ceux qui souffrent de découvrir la vraie cause de leurs souffrances en les mettant sur une fausse piste. Elle leur montre une prétendue spoliation qui les empêche de voir et de combattre les spoliations réelles. Elle familiarise les esprits avec cette pensée funeste que l’ordre, la justice et l’union ne peuvent renaître que par une transformation universelle (aussi dé-