Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/151

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nous sommes au vif de la question ; — pourquoi le charpentier a-t-il des outils ? Apparemment parce qu’il les a faits avec du travail ou payés par du travail, ce qui est tout un. Supposons qu’il les ait faits en consacrant à cette création tout le premier mois de l’année. Le manœuvre, qui n’a pas pris cette peine, pourra me louer ses services pendant 300 jours, tandis que le charpentier-capitaliste n’aura plus que 270 journées disponibles ou rémunérables. Il faut donc que 270 journées, avec outils, lui produisent autant que 300 journées sans outils ; en d’autres termes, que les premiers se paient 5 sous de plus.

Ce n’est pas tout encore. Quand le charpentier s’est décidé à faire ses outils, il a eu un but, assurément fort légitime, celui d’améliorer sa condition. On ne peut lui mettre dans la bouche ce raisonnement : « Je vais accumuler des approvisionnements, m’imposer des privations, afin de pouvoir travailler tout un mois sans rien gagner. Ce mois, je le consacrerai à fabriquer des outils qui me mettront à même de débiter beaucoup plus d’ouvrage au profit de mon client ; ensuite, je lui demanderai de régler mon salaire pour les onze mois suivants, de manière à gagner juste autant, tout compris, que si j’étais resté manœuvre. » Non, cela ne peut être ainsi. Il est évident que ce qui a stimulé, dans cet artisan, la sagacité, l’habileté, la prévoyance, la privation, c’est l’espoir, le très-juste espoir d’obtenir pour son travail une meilleure récompense.

Ainsi nous arrivons à ce que la rétribution du charpentier se décompose comme il suit :


3 fr. c., salaire brut.
25 usure des outils.
25 compensation du temps consacré à faire les outils.
25 juste rémunération de l’habileté, de la prévoyance, de la privation.
3 fr. 75 c.