Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/562

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de tels précédents, se préparer d’avance de honteuses palinodies ; voilà ce qu’ils faisaient. Et pourquoi ? Parce que le démon tentateur, caché sous la forme d’un article 79, avait murmuré à leur oreille ces mots dont, depuis l’origine, il sait la séduction : « Eritis sicut dii ; renversez tout sur votre passage, mais arrivez au pouvoir et vous serez la providence des peuples. » Et le député succombant prononce des discours, expose des doctrines, se livre à des actes que sa conscience réprouve. Il se dit : « Il le faut bien pour me frayer la route. Que je parvienne enfin au ministère, je saurai bien reprendre ma pensée réelle et mes vrais principes. »

Il est donc bien peu de députés que la perspective du ministère ne fasse dévier de cette ligne de rectitude, où leurs commettants avaient le droit de les voir marcher. Encore, si la guerre des portefeuilles, ce fléau que le fabuliste aurait pu faire entrer dans sa triste énumération entre la peste et la famine, si, dis-je, la guerre aux portefeuilles se renfermait dans l’enceinte du palais national ! Mais le champ de bataille s’élargit peu à peu jusqu’aux frontières, et par delà les frontières du pays. Les masses belligérantes sont partout ; les chefs seuls sont dans la Chambre. Ils savent que, pour arriver au corps de la place, il faut commencer par emporter les ouvrages extérieurs, le journalisme, la popularité, l’opinion, les majorités électorales. Il est donc fatal que toutes ces forces, à mesure qu’elles s’enrôlent pour ou contre la coalition, s’imprègnent et s’imbibent des passions qui s’agitent dans le parlement. Le journalisme, d’un bout à l’autre de la France, ne discute plus, il plaide. Il plaide chaque loi, chaque mesure, non point en ce qu’elles ont de bon ou de mauvais, mais au seul point de vue de l’assistance qu’elles peuvent prêter momentanément à tel ou tel champion. La presse ministérielle n’a plus qu’une devise : E sempre bene ; et la presse opposante, comme la vieille femme de la satire, laisse lire sur son jupon ce mot : Argumentabor.