Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/65

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pas pour laisser l’argent dans le sac ou le rabot au crochet qu’on les emprunte. On emprunte le rabot pour s’en servir, ou l’argent pour se procurer un rabot. Et s’il est bien démontré que cet outil met l’emprunteur à même de faire des profits qu’il n’eût pas faits sans lui, s’il est démontré que le prêteur a renoncé à créer pour lui-même cet excédant de profits, on comprend que la stipulation d’une part de cet excédant de profits en faveur du prêteur est équitable et légitime.

L’ignorance du vrai rôle que joue le numéraire dans les transactions humaines est la source des plus funestes erreurs. Je me propose de lui consacrer un pamphlet tout entier[1].

D’après ce qu’on peut induire des écrits de M. Proudhon, ce qui l’a amené à penser que la gratuité du crédit était une conséquence logique et définitive du progrès social, c’est l’observation de ce phénomène qui nous montre l’intérêt décroissant à peu près en raison directe de la civilisation. À des époques de barbarie, on le voit en effet à 100 pour 100, et au delà. Plus tard, il descend à 80, à 60, à 50, à 40, à 20, à 10, à 8, à 5, à 4, à 3 pour 100. On l’a même vu en Hollande à 2 pour 100. On en tire cette conclusion : « Puisque l’intérêt se rapproche de zéro à mesure que la société se perfectionne, il atteindra zéro quand la société sera parfaite. En d’autres termes, ce qui caractérise la perfection sociale c’est la gratuité du crédit. Abolissons donc l’intérêt, et nous aurons atteint le dernier terme du progrès[2]. »

Ceci n’est que spécieux, et puisque cette fausse argumentation peut contribuer à populariser le dogme injuste, dangereux, subversif de la gratuité du crédit, en le représen-

  1. Celui qui suit, sous le titre Maudit argent ! (Note de l’éditeur.)
  2. Voy. la 10e lettre du pamphlet Gratuité du crédit. (Note de l’éditeur.)