Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/76

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la dignité, la confiance, la charité, tout ce que le développement de nos facultés peut livrer aux besoins du corps et de l’esprit ; c’est le progrès, c’est la civilisation. La richesse, c’est l’admirable résultat civilisateur de deux admirables agents, plus civilisateurs encore qu’elle-même : le travail et l’échange[1].

— Bon ! n’allez-vous pas maintenant entonner un dithyrambe à la richesse, quand, il n’y a qu’un instant, vous accabliez l’or de vos imprécations ?

— Eh ! ne comprenez-vous pas que c’était tout simplement une boutade d’économiste ! Je maudis l’argent précisément parce qu’on le confond, comme vous venez de faire, avec la richesse, et que de cette confusion sortent des erreurs et des calamités sans nombre. Je le maudis, parce que sa fonction dans la société est mal comprise et très-difficile à faire comprendre. Je le maudis, parce qu’il brouille toutes les idées, fait prendre le moyen pour le but, l’obstacle pour la cause, alpha pour oméga ; parce que sa présence dans le monde, bienfaisante par elle-même, y a cependant introduit une notion funeste, une pétition de principes, une théorie à rebours, qui, dans ses formes multiples, a appauvri les hommes et ensanglanté la terre. Je le maudis, parce que je me sens incapable de lutter contre l’erreur à laquelle il a donné naissance autrement que par une longue et fastidieuse dissertation que personne n’écoutera. Ah ! si je tenais au moins sous ma main un auditeur patient et bénévole !

— Morbleu ! il ne sera pas dit que faute d’une victime vous resterez dans l’état d’irritation où je vous vois. J’écoute ; parlez, dissertez, ne vous gênez en aucune façon.

— Vous me promettez de prendre intérêt…

— Je vous promets de prendre patience.

  1. Voy. le chap. vi du tome VI. (Note de l’éditeur.)