Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/113

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Si nos besoins dépassaient nos facultés, nous serions des êtres invinciblement rétrogrades ; s’il y avait équilibre, nous serions des êtres invinciblement stationnaires. Nous progressons ; donc chaque période de la vie sociale, comparée à une époque antérieure, laisse disponible, relativement à une somme donnée de satisfactions, une portion quelconque de nos facultés.

Essayons de donner l’explication de ce merveilleux phénomène.

Celle que nous devons à Condillac me semble tout à fait insuffisante, empirique, ou plutôt elle n’explique rien. « Par cela seul qu’un échange s’accomplit, dit-il, il doit y avoir nécessairement profit pour les deux parties contractantes, sans quoi il ne se ferait pas. Donc chaque échange renferme deux gains pour l’humanité. »

En tenant la proposition pour vraie, on n’y peut voir que la constatation d’un résultat. C’était ainsi que le malade imaginaire expliquait la vertu narcotique de l’opium :


Quia est in eo
Virtus dormitiva
Quæ facit dormire.


L’échange constitue deux gains, dites-vous. La question est de savoir pourquoi et comment. — Cela résulte du fait même qu’il s’est accompli. — Mais pourquoi s’est-il accompli ? Par quel mobile les hommes ont-ils été déterminés à l’accomplir ? Est-ce que l’échange a, en lui-même, une vertu mystérieuse, nécessairement bienfaisante et inaccessible à toute explication ?

D’autres font résulter l’avantage de ce que l’on donne ce qu’on a de trop pour recevoir ce dont on manque. Échange, disent-ils, c’est troc du superflu contre le nécessaire. Outre que cela est contraire aux faits qui se passent sous nos yeux — car qui osera dire que le paysan, en cédant le blé qu’il