Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/141

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que les choses se passent ainsi depuis longtemps. Mais, avant d’imaginer, pour guérir la misère, divers moyens de réaliser ce bizarre principe, ne devrait-on pas se demander si la misère ne provient pas précisément de ce que ce principe a été réalisé sous une forme quelconque ? Avant de chercher le remède dans de nouvelles perturbations apportées à l’empire des lois sociales naturelles, ne devrait-on pas s’assurer si ces perturbations ne constituent pas justement le mal dont la société souffre et qu’on veut guérir ?

Prendre aux uns pour donner aux autre ! — Qu’il me soit permis de signaler ici le danger et l’absurdité de la pensée économique de cette aspiration, dite sociale, qui fermentait au sein des masses et qui a éclaté avec tant de force à la révolution de Février[1].

Quand il y a encore plusieurs couches dans la société, on conçoit que la première jouisse de priviléges aux dépens de toutes les autres. C’est odieux, mais ce n’est pas absurde.

La seconde couche ne manquera pas alors de battre en brèche les priviléges ; et, à l’aide des masses populaires, elle parviendra tôt ou tard à faire une Révolution. En ce cas, la Force passant en ses mains, on conçoit encore qu’elle se constitue des Priviléges. C’est toujours odieux, mais ce n’est pas absurde, ce n’est pas du moins impraticable, car le Privilége est possible tant qu’il a au-dessous de lui, pour l’alimenter, le gros du public. Si la troisième, la quatrième couche font aussi leur révolution, elles s’arrangeront aussi, si elles le peuvent, de manière à exploiter les masses au moyen de Priviléges très-habilement combinés. Mais voici que le gros du public, foulé, pressuré, exténué, fait aussi sa révolution. Pourquoi ? Que va-t-il faire ? Vous croyez peut-être qu’il va abolir tous les priviléges, inaugurer le

  1. Voir au tome II, Funestes illusions, et au tome IV, la fin du chapitre i de la seconde série des Sophismes. (Note de l’éditeur.)